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Le blog de Tony Andreani
18 novembre 2023

QU'EST-CE-QUE L'IMPERIALISME, D'HIER A AUJOURD'HUI?

 

La question est controversée parmi les théoriciens qui se réclament d’une orientation marxiste. Deux positions y dominent le débat contemporain. Je vais essayer de les résumer, avant de soutenir qu’elles présentent l’une et l’autre des faiblesses et des lacunes, alors que les théories classiques, celle de Lénine et de Marx lui-même, vont plus loin, sont plus opératoires et plus empiriquement fondées. Je terminerai par une analyse de la formation sociale chinoise et de la politique du parti communiste chinois relativement à l’impérialisme.

 

Les euro-marxistes : une analyse de type géopolitique

 

Pour ce courant[1] l’impérialisme, quand ils en acceptent le concept, est la conséquence de la rivalité des Etats capitalistes à la recherche de positions dominantes dans un monde qu’ils ont complètement investi avec la mondialisation. Ils peuvent aussi utiliser pour cela des moyens politiques (le droit, par exemple aujourd’hui les lois extra-territoriales états-uniennes, pour éliminer ou absorber des concurrents), l’idéologie des « valeurs » (occidentales), les institutions politiques internationales (telles que le FMI, la Banque mondiale, l’OMC, afin de générer des rapports de production capitalistes dans les pays où ils sont faiblement implantés) et toutes sortes d’autres moyens, y compris des interventions militaires. Si les Etats les plus puissants en sont venus à dominer d’autres, c’est parce que la propriété capitaliste y est plus étendue, générant un développement économique plus rapide. D’où leur supériorité dans le commerce international. Et, si l’exploitation y est plus modérée, c’est parce que la classe dominée a pu lui opposer une plus forte résistance.

Historiquement le capitalisme se serait développé de lui-même, en dissolvant des modes de production antérieurs (le féodalisme, la petite propriété paysanne), en se servant du droit (extension du droit de propriété), appuyé sur la force. Le colonialisme n’aurait joué qu’un rôle mineur dans sa genèse. Le néo-colonialisme, avec l’exportation de capitaux, aurait favorisé le développement des forces productives et, avec elles, l’industrialisation. L’impérialisme aurait finalement permis un rattrapage économique des pays sous-développés. Quant au socialisme, il ne serait possible que sur la base d’un capitalisme avancé, conformément à ce qu’aurait dit Marx. L’échec du socialisme soviétique, dans un pays qui n’avait pu rattraper son retard, était donc prévisible. La Chine l’aurait bien compris, en devenant elle-même capitaliste pour se développer rapidement, et ce en faisant appel à des investissements étrangers massifs.

Sur le plan purement théorique, ces auteurs ont soit récusé la théorie marxienne de la valeur (c’est le cas des « marxistes analytiques »), soit mis en doute certains de ses aspects (la baisse tendancielle du taux de profit). Les premiers se sont inscrits dans le cadre de la théorie néo-classique, tout en récusant certains de ses développements (elle ignore les « biens publics » comme les « maux publics », tels que la pollution), ce qui les amène à réintroduire la planification, et certaines de ses conséquences (un développement exponentiel des inégalités), ce qui les conduit à des réformes visant à rétablir une certaine justice sociale. Les seconds militent pour une plus grande intervention de l’Etat et une transformation sociale profonde, ce que les politiques réformistes ne permettent pas. Dans les deux cas, la salarisation croissante donnera aux catégories sociales dominées les moyens et le ressort pour passer à un socialisme de marché, plus ou moins théorisé.

 

Les courants tiers-mondistes

 

Pour eux[2] l’impérialisme s’explique essentiellement par des raisons économiques. Les pays capitalistes développés (les pays du « Centre ») dominent les pays sous-développés (la « périphérie »), parce que leurs entreprises cherchent à y étendre l’échelle de l’exploitation, et ce par deux moyens.

Le premier est l’échange inégal : les pays sous-développés, en retard sur le plan technologique, consacrent beaucoup plus de travail à la production des marchandises, si bien que, par le simple jeu de l’échange, dans le cadre du commerce  international et de ses prix de marché, ils ne retrouvent pas la valeur produite par leurs travailleurs, tandis que les pays développés engrangent une survaleur. C’est ainsi que se réalise une première forme de « drainage de la plus-value ». qui entraîne « développement du sous-développement ».

Le second moyen est la surexploitation : les salariés de la périphérie sont payés au-dessous de la valeur de leur force de travail, n’étant protégés que une législation du travail très faible : la durée de leur travail est plus élevée, son intensité plus forte, sa qualification à peine considérée. Souvent même il n’existe aucune législation : le travail est proche de l’esclavage, ou simplement « informel ». D’où une seconde forme de drainage de la plus-value.

Tout cela a des conséquences sur les rapports sociaux dans les pays du Centre : la plus-value extorquée à la périphérie permet d’y mieux rémunérer les salariés, de les constituer à l’échelle mondiale en une sorte d’aristocratie ouvrière beaucoup moins combative, voire plus docile, et de les embrigader dans une perspective réformiste, loin de toute velléité révolutionnaire.

Sur le plan historique, cette exploitation des pays en retard, et où dominaient encore des modes de production précapitalistes, a été le ressort du développement du capitalisme. Sans le colonialisme, puis sans le néo-colonialisme, le capitalisme aurait eu beaucoup plus de difficulté à s’imposer et à envahir la planète. Dans un premier temps il l’a fait par la force, ensuite par sa puissance sur le plan commercial, soutenue par des menées politiques.

Les théoriciens tiers-mondistes ont bien vu que la domination des pays du Centre sur ceux de la périphérie avait pris une dimension nouvelle avec l’essor des multinationales.

Le capitalisme tend en effet à la monopolisation – cette concentration du capital dont parlait Marx. Par le perfectionnement des moyens technologiques utilisés les grandes firmes, augmentant la productivité du travail (au sens de Marx), réduisent le travail vivant mis en œuvre et, en vendant leurs marchandises à la valeur moyenne du marché, réalisent des surprofits. En outre, en élargissant leur production, elles  peuvent réaliser des « économies de capital constant » (les installations, le machinisme etc.), et faire en sorte que, contrairement à ce que postulent les néo-classiques, les rendements soient croissants à l’échelle. Or ces monopoles deviennent des multinationales quand elles exportent leurs capitaux dans les pays pauvres, où elles trouvent une vaste «armée de réserve » de travailleurs qui ne sont pas mobiles, et où elles peuvent réaliser des surprofits, qu’elles rapatrient ensuite vers leurs métropoles[3].

Les tiers-mondistes ont de sérieux arguments en leur faveur, mais  on va voir que la théorie léniniste de l’impérialisme, malgré son ancienneté, rend mieux compte de son développement contemporain.

 

La théorie léniniste de l’impérialisme

 

Lénine a d’abord mis en évidence l’exportation de capitaux vers des pays restés largement précapitalistes. Elle résultait pour lui de la surproduction dans le pays d’origine, liée précisément à la monopolisation, surproduction qui entraîne une baisse des prix, donc des profits. Une autre raison de l’exportation de ces capitaux est que la réduction du travail vivant diminue ipso facto la véritable source des profits, d’où une baisse tendancielle du taux de profit, autre phénomène mis en évidence par Marx sur laquelle nous reviendrons. Cette exportation des capitaux dans les pays où la main d’œuvre est moins chère, permet de redresser ce taux de profit. Avec ce qui sera une nouvelle méthode de nos jours : faire fabriquer par des sous-traitants, qui pressurent encore plus cette main-d’œuvre et se contentent de petits profits.

Donc l’impérialisme ne tient plus seulement à un déséquilibre dans le commerce des marchandises, à un échange inégal. Il résulte aussi de cette exportation du capital, qui se fait à sens unique. Et l’histoire l’a confirmé. Les entreprises monopolistiques du Centre ont d’abord investi surtout dans l’extraction des matières premières (minerais, pétrole etc.) dont leurs usines avaient besoin, ensuite dans la production directe de biens de consommation (oléagineux, fruits, fleurs etc.) ou indirecte (coton  pour faire des vêtements, engrais, soja pour les animaux etc.). Et l’implantation de grandes firmes capitalistes utilisant de la main d’œuvre locale a entraîné un double drainage de valeur, creusant un écart croissant entre les pays développés et les autres.

Cette exportation de capitaux se fait avec la complicité de propriétaires fonciers, qui y trouvent une source de rente, et d’une petite bourgeoisie locale, qui y voit un moyen de développement économique et, pour elle, une source d’emplois. Elle prive les masses paysannes de terres et ruine beaucoup de petits producteurs,  entrainant des résistances qu’il faut briser par la force. Elle bloque toute industrialisation autochtone, les profits partant vers les pays du Centre. Lénine en avait conclu que les pays où peuvent se produire des révolutions socialistes ne sont plus les pays capitalistes avancés, car le prolétariat y bénéficie lui aussi du transfert de valeur en pouvant se procurer des marchandises à bas prix. Ces révolutions avaient beaucoup plus de chances d’advenir dans les pays de la périphérie du système mondial, devenus les « maillons faibles » du système. C’est ce qui, historiquement, s’est également vérifié.

Mais Lénine a noté un autre phénomène qui allait au-delà de la monopolisation du capital ; la fusion du capital bancaire et du capital industriel, de telle sorte que le premier en vienne à dominer le second. Il a anticipé ainsi la montée en puissance du capital financier. Le capital bancaire dont il est question n’est pas celui de la banque de prêt ou de détail, mais celui de la banque d’affaires ou d’investissement. Il faudra y ajouter de nos jours la multiplication des fonds d’investissement non bancaires, tels que les fonds de pension, fonds d’assurances et autres. Et cela va nous conduire à l’impérialisme actuel. Mais, auparavant, tentons de faire une brève histoire de l’impérialisme.

 

Brève histoire de l’impérialisme

 

L’impérialisme a changé de nature au cours des derniers siècles. Il est devenu de plus en plus économique. Aux débuts du capitalisme il était encore principalement politique, de grandes compagnies, créant, avec l’appui des Etats européens (Hollande et Angleterre, France) des  comptoirs dans les pays précapitalistes, puis sur la force de la conquête coloniale. Cette conquête a joué un rôle majeur dans l’essor du capitalisme en lui fournissant les matières premières dont il avait besoin pour son industrie (coton, engrais) et ses moyens de paiement (or et argent). Ensuite il a commencé à jouer sur l’échange commercial, détruisant les productions de ces pays par le bas prix de marchandises produites grâce au machinisme (c’est l’exemple classique donné par Marx des manufactures de textiles anglaises ruinant les tisserands indiens) ou les confinant dans quelques secteurs. Avec l’exportation de capitaux il en a fait des réservoirs de main-d’œuvre à bon marché, créant une industrie à son service. Cette exportation n’a fait depuis Lénine que s’intensifier. Là est tout le sens des « délocalisations ». A la limite on a des monopoles quasiment sans usine, ne conservant sur place que des services de recherche et de développement et de marketing.

Il faut bien voir le sens de cette industrialisation, dont les euro-marxistes pensent qu’elle a été favorable à leur développement. Certes de l’industrie et des emplois ont été créés, mais l’essentiel des profits est parti vers les métropoles capitalistes, ne permettant qu’une petite accumulation locale de capital, et les machines-outils ont continué à être importées. Non seulement le mécanisme de l’échange inégal s’est poursuivi, avec son transfert de valeur, mais encore les infrastructures nécessaires au développement sont restées minimales[4]. C’est pourquoi on peut dire que l’exportation de capitaux, combinée avec l’échange inégal, a bloqué le développement de la périphérie. Celle-ci a riposté, dans plusieurs pays d’Amérique latine, par les politiques de substitution aux importations, mais sans y parvenir, faute d’une accumulation autochtone de capital. On verra plus loin comment sortir de ce dilemme.

On peut ajouter à l’analyse léniniste une autre façon de maintenir les pays sous-développés dans la dépendance, à savoir l’arme du crédit. Les pays du Centre ont prétendu aider les premiers à se développer en leur fournissant des crédits, soit d’Etat à Etat, soit par l’intermédiaire de leurs banques, soit en utilisant des institutions internationales dominées par eux : principalement la Banque mondiale et le FMI. Ces dernières y ont mis leurs conditions, baptisées « politiques d’ajustement structurel », à savoir, pour les rendre solvables, l’injonction à couper dans leurs budgets sociaux et à privatiser leur secteur public, ce qui revenait à la fois à fragiliser la main d’œuvre locale et à céder des biens publics aux investisseurs étrangers.

Mais l’impérialisme a besoin aussi de relais politiques, et il va les trouver dans ce que Mao a appelé la « bourgeoisie comprador », reprenant un terme qui désignait à l’origine des intermédiaires marchands dans un pays colonisé. C’est une bourgeoisie liée aux  intérêts étrangers non seulement par le commerce, mais encore par des participations aux capitaux des monopoles. Ensuite il ne faut pas oublier les grands propriétaires fonciers, devenus d’importants capitalistes agraires, alimentant les métropoles capitalistes en produits de base pour leur consommation ou pour leurs matières premières à destination de l’agriculture et de l’élevage (engrais, produits pour l’alimentation des animaux). Cette bourgeoisie agraire reste cependant dominée par les industriels des pays du Centre, puisque ce sont eux qui lui fournissent machines et produits phytosanitaires. Enfin il existe une bourgeoisie d’Etat, profitant de  ses places dans l’appareil d’Etat pour utiliser l’impôt, dans la mesure où elle parvient à le recouvrir, et de ses liens avec les Etats les plus puissants et les grandes entreprises étrangères pour s’enrichir, bourgeoisie parfaitement corrompue sous une façade démocratique. C’est tout cela que l’on a pu appeler le « néo-colonialisme ».

Depuis les dernières décennies l’impérialisme a pris des formes nouvelles avec l’exportation de capitaux financiers, et notamment des capitaux de la sphère « productive ».  C’est ce qu’on verra plus loin. Mais voyons d’abord comment le fossé entre habitants des pays riches et habitants des pays pauvres n’a fait que s’élargir.

 

 

Le creusement de l’écart entre pays riches et pays pauvres

 

Si on considère sur le très long terme l’écart entre les pays développés et les pays dits aujourd’hui « en voie de développement », il s’est creusé démesurément. L’historien de l’économie Paul Bairoch a estimé, à l’aide de nombreuses sources, que jusqu’à la fin du XVII° siècle cet écart, sociétés primitives mises à part, était très faible, (ainsi que les écarts à l’intérieur de chaque société, ce qui est beaucoup plus discutable), qu’il n’a commencé à se creuser un peu qu’à partir de 1770, en Angleterre d’abord, avec la production de fer dans les hauts fourneaux et la mécanisation de la filature de coton, et qu’il s’est agrandi quand ces innovations se sont généralisées en Occident à partir de 1880[5]. Or il note que cet essor des pays industrialisés a eu de lourdes conséquences en matière de commerce, sur les autres pays, en entraînant un « renversement total de la nature des échanges entre l’Orient et l’Occident, renversement total qui sera un des moteurs les plus puissants de la nouvelle forme de colonisation que l’Angleterre sera la première à entreprendre grâce à justement son avance technique. Une grande partie de l’actuel Tiers Monde sera ainsi graduellement forcée de reconvertir son économie, de cesser de produire et de vendre des articles manufacturés et de se spécialiser dans la culture et l’exportation de produits tropicaux », une exportation facilitée par la baisse du coût des transports. Tout en ne retenant pas le mécanisme d’un échange inégal, il voit bien que les pays dominés ont été de fait empêchés de s’industrialiser. Si l’on peut faire une exception relative pour l’Amérique latine, c’est parce que les vaques de l’immigration européenne y ont apporté des connaissances et des progrès technologiques. Cent ans après, en 1970 l’écart est devenu énorme : entre l’ensemble des pays développés et ce qu’on appelait à l’époque le Tiers monde,  il est passé, estime-t-il, de 3 à 1 à 10 à 1, et même de 30 à 1 pour les pays les plus pauvres. Aujourd’hui, selon l’OIT, l’écart, à parité de pouvoir d’achat, entre le pays le plus riche et le pays le plus pauvre, serait de 190/1. Si l’inégalité entre les pays a légèrement diminué, du fait de l’augmentation des revenus moyens dans quelques grandes économies dites « émergentes »  l’écart à l’échelle globale,  entre le PIB par habitant s’est encore accru ; 1,9 milliard d’habitants vivent avec moins de 3, 2 dollars US par jour, et près de 50% de la population mondiale avec moins de 5,5 dollars par jour.

Encore faut-il revenir sur ces économies «émergentes ». Un regard superficiel sur le rapport entre elles et les pays occidentaux semble indiquer un rattrapage général. Les plus importantes d’entre elles, à savoir les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), ne représentaient en 1995 que 8% du PIB mondial, alors qu’elles en totalisent aujourd’hui 28%, ce qui amorcerait un basculement géopolitique du monde. Certes, mais cela ne signifie pas ipso facto un enrichissement de leurs populations, car l’essor démographique y a été très élevé, avec une augmentation de près de 700 millions d’habitants contre un peu plus de 150 millions pour l’Occident. Ensuite l’augmentation du PIB, toujours entre les deux mêmes dates, vient pour l’essentiel de la Chine (18% sur 28%), dont la population, elle, n’a guère évolué, si bien que l’on peut dire qu’elle est le seul pays réellement émergent.

 

Les nouveaux habits de l’impérialisme

 

Pendant les dernières décennies l’impérialisme s’est donc renforcé, ainsi qu’en témoigne l’écart croissant entre pays développés et les autres pays en termes de PIB par habitant. Il reste maintenant à en comprendre les ressorts profonds. Et pour cela il faut revenir à la théorie marxienne de la baisse tendancielle du taux de profit.  Cette théorie a été contestée pas des économistes marxistes eux-mêmes, avec divers arguments[6]. Mais c’est qu’ils n’ont pas suffisamment fait attention à ce qu’écrivait Marx dans le livre III du Capital, où il dit  qu’elle « est inséparable des causes qui la contrecarrent » et où il détaille un certain nombre de ces causes, que je ne vais pas expliciter ici[7], et qui sont : 1° l’augmentation du degré d’exploitation, 2° la réduction du salaire en dessous de la valeur de la force de travail (que nous pouvons rebaptiser en termes de « paupérisation relative »). 3° la diminution de valeur du capital « constant », et d’abord du capital fixe (suite à sou usure physique et à son obsolescence, et du fait du progrès technologique réalisé dans les branches qui le produisent). 4° la « surpopulation relative » (que l’on peut traduire par l’existence d’un chômage structurel). 5° le déplacement d’un partie de la main d’œuvre vers les services à la personne, qui en réclament plus que l’industrie. On peut de fait expliquer avec ces « causes » (dont certaines tiennent plus d’une politique délibérée que de processus involontaires), bien des variations du taux de profit constaté empiriquement[8]. Elles sont toutes opérantes dans un espace national. Mais voilà que Marx en ajoute une autre, et c’est celle qui nous intéresse ici : le rôle du « commerce extérieur ». et ceci de plusieurs façons : 1° En faisant produire des éléments du capital constant, notamment les matières premières, dans des pays où le salaire est très bas, les capitalistes diminuent le coût de leur capital constant, ce qu’ils cherchent constamment à faire. 2° La concurrence entre ces pays eux-mêmes fait également baisser son prix. 3° Vient ensuite le résultat tout à fait involontaire de ce commerce international : si chaque capitaliste entend en tirer le maximum de profit, la péréquation internationale des taux de profit fait descendre le niveau général du profit (remarquable exemple d’effet pervers), ce qui n’empêche pas chaque capitaliste de recommencer à exporter du capital pour damer le pion à ses concurrents. Je ne suis pas sût que ce dernier mécanisme joue un grand rôle[9].  Mais il y a une autre cause que Marx a aperçue, mais pas développée : la montée du travail improductif dans les pays les plus développés, condamnant leurs capitalistes à trouver dans le secteur productif des pays pauvres la source  de plus-value qui leur fait défaut, une source qui va particulièrement intéresser les acteurs financiers.

Mais d’abord qui sont ces acteurs financiers dont parlait déjà Lénine ? Ce ne sont pas des entrepreneurs, ce ne sont pas les dirigeants des multinationales. Ce sont des spéculateurs avertis, qui placent leur argent partout où il peut leur rapporter, observant de haut la manière dont les entreprises sont créées ou gérées et n’intervenant, grâce à leur puissance de feu, que lorsque les profits ne leur paraissent pas à hauteur de leurs attentes (parfois pour destituer un dirigeant, le plus souvent pour imposer une restructuration, une acquisition ou une fusion).  Ce sont eux qui, lorsque le retour sur investissement leur paraît trop faible, vont pousser les multinationales à délocaliser vers les pays pauvres (investissements directs à l’étranger), ou bien vont investir eux-mêmes (placements financiers au sein des entreprises locales) dans ces pays où le secteur productif reste bien plus important que le secteur improductif. Mais que faut-il entendre par ce dernier ?

Je résumerai ici l’analyse que j’ai pu tirer des indications certes fragmentaires, mais décisives, de Marx[10]. Il existe en réalité deux sortes de travail improductif. Il y a tout d’abord un travail improductif qui est indispensable au fonctionnement de n’importe quelle économie (le travail de comptabilité) et de toute économie plus ou moins marchande (le travail correspondant aux actes d’achat-vente, aux opérations de crédit et d’assurance). Ne produisant aucune valeur d’usage réelle, tangible (le transport et la conservation des produits, eux, en ont une), n’étant que formel, il ne produit aucune valeur. Par conséquent il doit être financé avec de la plus-value issue du travail productif, et devrait de ce fait être réduit au minimum indispensable. C’est bien dans ce sens que vont sa mécanisation et aujourd’hui sa numérisation. Mais il y a une autre face du travail improductif. Ce sont d’abord tous les travaux, y compris le travail comptable, qui ne servent qu’à constituer et mesurer un fonds d’exploitation, que l’on trouve dans toutes les sociétés de classe et évidemment dans la société capitaliste[11]. Ce sont ensuite toutes les activités liées à la spéculation. Et l’on sait le développement exponentiel des marchés financiers dans le capitalisme contemporain. C’est encore le travail non point d’information, qui a son utilité, mais celui qui enrobe la marchandise de toutes sortes de vertus mirifiques qui n’ont tien à voir avec sa valeur d’usage réelle. J’ai nommé la majeure partie de ce qu’on appelle le marketing, jusqu’aux formes les plus sophistiquées de la publicité via les réseaux sociaux. A quoi il faut ajouter le prolifération d’organismes de conseil en tous genres, les plus souvent incompétents et partiaux, et beaucoup de plates-formes  concurrentes qui font payer leur intermédiation alors même qu’elles sont superflues et mensongères, bref des armées de parasites sociaux. Enfin il y tout le travail qui produit, disons, pour faire simple, des « produits de luxe », déjà évoqué par Marx justement comme étant l’un des facteurs de la baisse du taux de profit.

Tous les travaux improductifs (leurs moyens de production et la force de travail dépensée) sont financés avec une partie de la valeur produite par le travail productif, sans lequel n’existerait aucune valeur d’usage. Mais ceux de la première sorte sont indispensables pour que les utilisateurs, productifs et finaux, puissent en disposer, c’est-à-dire les acheter ou les vendre, souvent obtenir des crédits à cet effet, s’assurer contre les aléas. En revanche ceux de la deuxième catégorie pourraient disparaître dans une société organisée rationnellement et sans classes, nous fait comprendre Marx.

Or tous ces derniers représentent un énorme prélèvement sur la valeur effectivement produite, qui nécessairement fait baisser le taux de profit réel, celui qui est tiré du secteur productif. Plusieurs auteurs ont commencé à explorer cette piste[12]. Dès lors comment les capitalistes font-ils pour la combattre ?

C’est ici que nous comprenons pourquoi l’impérialisme s’est renforcé : il faut aux pays du Centre accroître l’exploitation en premier lieu des travailleurs productifs de la périphérie, à la fois par le mécanisme de l’échange inégal et par leur surexploitation. Par exemple on fera produire un t shirt, un jouet ou une basket au plus bas coût pour le revendre à grand renfort d’une publicité, qui peut même  être plus onéreuse, au consommateur occidental. Et il faut bien payer tout ce bullshit job, comme le nomme un sociologue, du marketing, avec la sueur des prolétaires de la périphérie, de manière à maintenir un taux de profit aussi élevé que possible. On pourra dire la même chose pour la multitude d’acteurs, qui, de près ou de loin, font fonctionner les marchés financiers, du gérant d’un fonds d’investissement au simple trader, en passant par toutes sortes de courtiers, des cabinets de conseil,  des agences de notation, des experts fiscalistes etc.[13]. Les apologistes de ce capitalisme financiarisé soutiennent que c’est là le moyen de parfaire l’allocation du capital en le rendant mobile. C’est plus que discutable quand on sait à quel point ces marchés financiers sont irrationnels et générateurs de crises à répétition. En tous cas  cela se fait au prix d’une ponction considérable sur la plus-value du secteur productif, et cette plus-value est venue de plus en plus des pays périphériques. Quant aux produits de luxe[14], considérés par l’économie standard comme des produits comme les autres, ils ne peuvent être achetés qu’avec les dividendes issus de l’exploitation des travailleurs qui fabriquent les autres produits, ou du moins les matières premières utilisées pour leur production, ici encore dans les pays du Sud.

Pour revenir à la baisse tendancielle du taux de profit, on remarquera que, certes, les investissements dans toutes ces activités improductives non indispensables, tout ce gaspillage, font que les capitalistes investissent moins dans le secteur productif, et que le capital « constant » augmente moins vite dans ce dernier, en sorte que le capital variable (celui qui sert à payer les salaires) y diminue moins rapidement et, avec lui, la source de plus-value qu’il représente. Mais tout cela ne fait que modérer la baisse générale du taux de profit.

On pourra objecter aussi que les grandes firmes des pays riches délocalisent aussi dans les pays pauvres des travaux improductifs, généralement sous la forme de la sous-traitance (par exemple des centres d’appel, du conseil, des services informatiques) pour accroître leurs profits, mais, globalement, c’est bien le secteur productif de ces pays qui leur permet de les redresser.

Cette analyse de l’impérialisme contemporain serait incomplète si l’on n’y ajoutait pas les privilèges exorbitants que les Etats-Unis tirent de leur domination sur le commerce des pays périphériques (mais pas seulement) grâce à leur monnaie, le dollar, principalement le fait qu’elle réduit pour eux le prix des biens importés et que les bons du Trésor américain constituent pour eux une dette à faible taux d’intérêt du fait de l’importance de la demande globale.

Cependant la périphérie a commencé à réagir à ces formes contemporaines de l’impérialisme, et la Chine n’y est pas pour rien. C’est ce que je vais développer maintenant. Mais, avant d’examiner sa position sur l’impérialisme, il nous faut voir comment elle a desserré son étau.

 

Quand la Chine s’émancipe de l’impérialisme

 

Comment donc la Chine, l’un des pays les plus développés du monde tout au long de son histoire impériale, et ce jusqu’au début du 19° siècle, puis devenue, en partie sous les coups de boutoir des puissances coloniales de l’époque, l’un des plus pauvres de la planète,  a-t-elle pu, après la victoire du Parti communiste, se développer à un rythme inédit dans l’histoire ?  La première raison en est que, s’étant dotée, pendant la période maoïste,  des services publics de base, elle a créé ces conditions de développement qui ont fait largement défaut à tous les autres pays de la périphérie. C’est ainsi que, avec la généralisation de services de santé (hôpitaux publics, « médecins aux pieds nus »), l’espérance de vie y est passée de 36 ans à 64 ans (elle est aujourd’hui de 77,3 ans) et que le taux de croissance des ressources éducatives a été rapide, plus encore que pendant la période post-Mao (aujourd’hui le taux de scolarisation approché les 100% dans le primaire et les 95% dans le secondaire). La seconde raison est que la Chine socialiste s’est rapidement dotée des industries de base. Elle l’a pu en particulier grâce à l’importance de ses dépenses de recherche et développement, lesquelles ont augmenté très vite pendant la période maoïste, plus vite encore que pendant la période qui a suivi (aujourd’hui la part de la Chine dans les industries de haute technologie dépasse celle des Etats-Unis)[15]. On le voit, la période de construction du socialisme, avant le passage à un socialisme de marché, a doté la Chine de moyens essentiels à son développement, un développement qui, contrairement à certaines assertions, a été soutenu pendant cette période (de l’ordre de 6,3 % entre 1952 et 1979), avant de se renforcer pendant la période suivante (9,9% entre 1979 et 2015)[16]. Et il faut souligner ici que la Chine s’est industrialisée, pendant cette période maoïste, avec ses propres moyens, après la fin de l’aide soviétique en 1962, et alors qu’elle était sous embargo occidental.

Vient alors la question : pourquoi donc la Chine, dont le développement était complètement autocentré, a-t-elle fait appel ensuite à des investisseurs étrangers, avec la politique « de réforme et d’ouverture », qui lui a été effectivement bénéfique ? Et d’abord pourquoi est-elle entrée dans le grand jeu du commerce international ?

Devenir « l’usine du monde » à bas coût n’allait-il pas lui faire connaître le même sort que les autres pays dépendants, encouragée pour cela par les pays du Centre, qui y voyaient le moyen de maintenir le niveau de vie de leurs classes populaires paupérisées ? En fait, contrairement à ce que l’on a dit couramment, la part des exportations dans le PIB chinois, a été limitée et elle est même descendue dans les dernières années 10 points au-dessous de la moyenne mondiale[17]. Et le succès de ses exportations est venu non pas tant du bas coût de la main d’œuvre que de celui des intrants, lequel venait justement de ce qu’elle s’était industrialisée. Certes le mécanisme de l’échange inégal a, comme ailleurs, joué à son détriment : il y avait beaucoup plus de travail incorporé dans les marchandises qu’elle exportait que dans celles qu’elle importait (en particulier les machines-outils) des pays développés. On doit reconnaître aussi que sa main d’œuvre (notamment celle des ses travailleurs « migrants ») a été surexploitée. Mais, au fur et à mesure que ses produits sont montés en gamme, avec son essor technologique, l’échange inégal s’est fortement réduit[18] et l’élévation continue des salaires a diminué le taux de l’exploitation. L’important est que le développement est redevenu de plus en plus autocentré. Comment a-t-il pu l’être ?

C’est précisément, et cela peut paraître paradoxal, en faisant appel aux capitaux étrangers, à cette exportation de capitaux dont parlait Lénine et qu’il avait mis, mais à petites doses et sous conditions, au programme de la NEP. Cela a permis à la Chine, après la mise en route de la politique d’ouverture, de réaliser une sorte d’accumulation primitive de capital, sans avoir à pressurer son vaste secteur agricole. Mais, et là est l’essentiel, elle l’a fait à ses conditions. D’abord elle n’a que très faiblement ouvert ses entreprises publiques à l’actionnariat étranger, un secteur réduit certes, mais d’importance stratégique, et ce de manière à en garder le contrôle. Ensuite, si elle a largement ouvert son secteur privé aux investisseurs étrangers, entreprises transnationales comme fonds d’investissement, notamment étasuniens, elle a circonscrit leur liberté d’action de plusieurs façons : outre ceux qui étaient exclus de secteurs figurant sur une liste étendue, les autres ont le plus souvent dû accepter la forme de la co-entreprise avec une entreprise chinoise, ou bien encore ont  été dissuadées de manière plus discrète par des difficultés administratives. Enfin la condition posée était un transfert de technologies. Une seule exception de taille, à ma connaissance : le secteur de l’internet. Mais on assiste aujourd’hui à sa reprise en mains. Ainsi l’impérialisme occidental s’est pris à son propre piège ; croyant trouver dans le vaste marché chinois une formidable terre d’expansion, il s’est vu concurrencé de plus en plus jusque dans le domaine des technologies de pointe, comme en témoigne par exemple la montée en puissance de l’automobile électrique chinoise. Quand il s’est réveillé, dressant des barrières à l’exportation de technologies sensibles, c’était un peu tard, et au grand dam de certaines de ses majors, peu disposées à se couper du marché chinois ou de ses sous-traitants.

Ces quelques indications seraient très incomplètes si l’on n’ajoutait que la Chine a gardé la maitrise de son secteur bancaire, très largement public, qu’elle a imposé des règles restrictives au développement des marchés financiers, et qu’elle incite aujourd’hui ses grandes entreprises, privées comme publiques, à se faire coter sur les Bourses de son territoire, et non plus sur les grandes Bourses occidentales[19]. On voit, en définitive, comment la Chine a su exploiter à son avantage l’exportation de capitaux, y compris sous leur forme la plus financiarisée. Une leçon à entendre pour tous les pays dépendants.

 

Comment la Chine soutient les pays sous-développés

 

Le principal vecteur de ce soutien est l’offre de prêts à long terme et à des taux inférieurs à celui des prêteurs occidentaux, selon un principe gagnant/gagnant[20]. Qu’est-à dire ? Ceci que ces prêts sont orientés vers la construction d’infrastructures (routes, ports, voies ferrées et fluviales etc.) et d’un socle industriel (énergie en premier lieu), en priorité dans les pays de la périphérie. Quelle différence avec les prêts occidentaux (privés, d’Etat à Etat, par la Banque mondiale ou le FMI), en dehors de leur taux ? Qui a fait et qui fait en réalité tomber des pays dans un « piège de la dette » ? Les prêts chinois, importants sans être majoritaires, ne sont pas conditionnés à l’adoption de ces réformes « d’ajustement structurel » qui, on l’a dit, appellent des privatisations et la réduction des dépenses publiques, puisqu’ils visent au contraire à renforcer les moyens des pays en retard. Ils ne sont pas non plus conditionnés à la nature de leur régime politique, et c’est ce qui exaspère les Occidentaux qui se disent attachés à la démocratie et aux droits de l’homme, ce qui est en réalité une manière de soutenir les élites qui sont favorables à leurs intérêts et qu’ils peuvent facilement corrompre. Au fond la politique étrangère chinoise repose sur l’idée que c’est aux peuples eux-mêmes d’agir sur leurs institutions, que la démocratie libérale ou même la démocratie « à la chinoise » ne s’exportent pas, encore moins par la violence. Toute amélioration du niveau de vie, du système éducatif, de la condition féminine, joue dans le sens d’une meilleure maîtrise par les populations de leur destin. Et c’est dans ce sens que la Chine se sert d’un deuxième levier dans l’aide au développement : l’accueil de centaines de milliers d’étudiants dans ses universités et dans ses écoles techniques. Bien entendu tout cela n’est pas désintéressé, puisque cela facilitera les échanges commerciaux et les partenariats. Mais, dans un principe gagnant-gagnant, il n’y a pas de perdant. La Chine multiplie aussi les séminaires de formation à l’intention des fonctionnaires, diplomates, journalistes et ingénieurs des pays en développement pour leur faire connaître les « solutions » chinoises, avec visites sur le terrain[21], mais se garde bien de les présenter comme un « modèle »  à reproduire clefs en main. Qu’on le veuille ou non, cela n’a rien à voir avec une politique impérialiste, c’est la continuation, avec d’autres moyens, de la politique maoïste de soutien aux anciens pays socialistes et aux pays du Tiers Monde, avec cette différence qu’elle est moins coûteuse et qu’elle ne réclame aucun subordination.

Mais encore faut-il que cette politique de co-développement soit appliquée avec rigueur. Car, si le secteur capitaliste en Chine est laissé à lui-même, il sera naturellement à la recherche du meilleur taux de profit. Or, comme partout, la tendance à la baisse du taux de profit s’exerce dans l’économie chinoise, à mesure qu’elle remplace du travail vivant par du travail mort avec le développement technologique[22], et les épisodes de baisse plus marquée ont été nombreux sans interrompre pour autant la croissance. Les entreprises chinoises, privées et même publiques, peuvent être inclines à la compenser, comme le font les entreprises occidentales, par l’échange inégal et la surexploitation des travailleurs des pays pauvres. Seul un gouvernement résolu peut, en se servant de ses banques et en orientant les investissements de ses entreprises publiques dans ces pays, mais aussi en exerçant un contrôle sur ceux du secteur privé, faire en sorte que le principe gagnant/gagnant ne soit pas un leurre. S’il se refuse à imposer le socialisme à la chinoise, sa politique en matière commerciale et en matière d’aide au développement se doit d’être d’inspiration socialiste et internationaliste.

Un autre volet de la politique internationale de la Chine consiste à trouver une alternative à la domination du dollar en favorisant des échanges directs en devises nationales en attendant un autre système de paiement, qui pourrait être utilisé par les BRICS, une organisation qui vient d’être étendue à d’autres nations, mais il ne sera pas facile à mettre en place.

 

L’urgence d’en finir avec l’impérialisme

 

On a vu combien le creusement des écarts entre pays riches et la plupart des pays pauvres, soit en termes absolus, soit en termes de PIB par habitant, s’est aggravé sous l’effet du capitalisme financiarisé. Mais cet écart prend un tour encore plus dramatique avec le bouleversement écologique. Les pays pauvres sont ceux qui sont le plus affectés par le réchauffement climatique, par la destruction de leurs écosystèmes (forêts, milieux marins, extinction d’espèces), sous l’effet de la surexploitation et de la pollution. Les pays du Centre le savent bien, mais ils ne font pas grand-chose, malgré toutes les alertes de l’ONU, pour prévenir et réparer ces dégâts, encore moins que chez eux, où une partie de leur opinion politique s’est mobilisée. On sait que le capitalisme « vert » est largement une supercherie et que ce n’est pas le marché qui peut résoudre les problèmes, comme on le voit bien avec le marché des droits à polluer. Ce n’est pas la Chine à elle seule qui peut agir sur des phénomènes mondiaux, mais elle devrait en faire un cheval de bataille. Or il semble que son action ait été modeste en la matière. Le développement est certes nécessaire pour sortir les pays pauvres de leur misère, mais ce ne peut être un développement à n’importe quel coût écologique. Par exemple il est bien contestable d’avoir aidé, par des prêts, à construire des centrales à charbon. Cependant, depuis le troisième Forum de la Route et de la Ceinture en octobre 2023 à Pékin, les programmes d’investissement « vert » sont beaucoup plus nombreux. Le défi, pour tous les pays et pour la civilisation humaine tout court, est colossal. Et on ne voit qu’une marche vers un socialisme responsable capable de le relever. Pendant qu’il en est encore temps. Si la Chine peut soutenir cette orientation, il faudra certainement qu’elle accélère sa transition vers un tel socialisme, sans attendre cent ans pour dépasser ce qu’elle appelle sa « première étape ».



[1] Avec notamment les historiens Robert Brenner et Ellen Meiksins Wood.et, pour le marxisme « analytique », l’économiste John Roemer.

[2] Notamment André Gunder Frank, Giovanni Arrighi, Samir Amin, Immanuel Wallerstein

[3] Cf. en particulier les analyses de Samir Amin et sa théorisation de « la loi de la valeur mondialisée ».

[4] On peut voir ici la différence avec les exportations de capitaux entre pays développés : là elles s’appuient sur des infrastructures importantes, créées par les pays d’accueil des investissements, une des raisons qu’ils mettent en avant pour leur « attractivité ».

[5] Ses estimations on été faites à partir d’un calcul du PIB par habitant, mais corrigé des différences de pouvoir d’achat. Elles n’ont pris en compte ni la Russie, puis l’URSS, ni la Chine, du fait des différences entre les systèmes de comptabilité nationale.

[6] Ils sont très bien réfutés par Chris Harman dans l’article « Les taux de profit et le monde d’aujourd’hui », paru dans International Socialism, 115, été 2007, consultable sur https:/ gesg.free.fr.

[7] Le principe est le suivant : elles élèvent toutes la « composition organique » du capital, c'est-à-dire le rapport entre d’une part le travail « mort » (c’est-à-dire antérieur) cristallisé dans les moyens de production, et d’autre part le travail « vivant » dépensé. Comme seul le travail est créateur de valeur, et donc source de profit, le profit est diminué d’autant.

[8] Pour des développements Cf. Chris Harman, op. cit., et mon article « Une explication marxiste », consultable sur mon blog.

[9] S’agissant du fameux problème de la « transformation des valeurs en prix de production », je crois qu’il peut être  résolu d’une autre façon. Cf. dans mon livre Matérialisme historique. Les concepts fondamentaux revisités Paris, L’Harmattan, 2022) :le § consacré à la question.

[10] Cf. le chapitre que j’ai consacré à ces concepts dans mon livre, précité, sur Le matérialisme historique.

[11] Ce sont des travaux de surveillance, de coercition et de légitimation, (toute une  face du management),, des travaux de « marquage social » et de falsification des produits (par exemple la conception de leur obsolescence programmée), des travaux visant à accroître non la productivité, mais l’intensité du travail, des travaux destructifs de l’environnement, des travaux consacrés à l’armement dans des buts autres que la défense nationale.

[12] Cf. les auteurs cités dans l’article de Chris Harman, qui lui-même évoque, au titre du travail improductif, les investissements spéculatifs, le renforcement des hiérarchies d’encadrement, les dépenses servant à maintenir une certaine paix sociale, les aventures militaires et les capitaux destinés à étendre des marchés improductifs.

[13] Il faut bien distinguer ici les placements financiers d’une simple allocation du capital, telle qu’elle peut être réalisée par une entreprise par autofinancement, par appel au crédit bancaire ou par émission d’actions et d’obligations. Les marchés financiers sont des marchés secondaires, des marchés de la revente.

[14] En parlant de « produits de luxe » on ne s’appuie pas sur un critère de moralité, mais sur le fait qu’ils se trouvent réservés à une élite possédante et que beaucoup, de plus, ont une très forte empreinte écologique (par exemple les jets privés).

[15] Cf. Rémy Herrera et Zhiming Long, La Chine est-elle capitaliste ? Paris, Editions critiques, 3019, p. 50 sq.

[16] Cf  Rémy Herrera  et Zhiming Long, op. cit. p. 53.

[17] Cf. RémyHerrera et Zhiming Lnng, op. cit. p.513

[18] Le PIB par habitant reste néanmoins en Chine très inférieur à celui des Etats-Unis (13.721 en dollars US contre 70.000, en 2023), des pays européens et de bien d’autres pays. L’écart est beaucoup plus faible en termes de pouvoir d’achat.

[19] Cf. Rémy Herrera et Zhiming Long, op. cit. p. 97-108.

[20] Cf. mon article « Sur la politique commerciale et la politique étrangère de la Chine et quelques contre-vérités » in La Chine sans œillères, sous la direction de Maxime Vivas et Jean-Pierre Page, Editions Delga, 2021, p. 51-62.

[21] Cf. Alice Ekman, Rouge vif, Editions de l’Observatoire, Paris, 2020, p. 161 sq.

[22] Cf. Rémy Herrera et Zhiming Long, op. cit. p.73 sq.

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