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Le blog de Tony Andreani
2 mars 2023

MARX ET L'EPISTEMOLOGIE

 

 Marx voulait construire une théorie scientifique de l’histoire. Aussi sommes nous en droit de nous interroger sur les titres de validité de cette théorie au regard de l’épistémologie contemporaine, plus précisément de celle de Bachelard, qui reste inégalée aux yeux de beaucoup de scientifiques (beaucoup plus convaincante que celle d’un Karl Popper, et même que celle d’un Thomas Kuhn). Je vais donc examiner en quoi Marx s’est appliqué à lui-même, avant la lettre, des procédures de scientificité comparables à celles que Bachelard a exposées. Mais il y a aussi une épistémologie proprement marxienne, « dialectique », dans le domaine qui est le sien, la science de l’histoire. J’en parlerai à la fin de mon propos.

 

La notion de rupture épistémologique appliquée aux sciences humaines

 

Bachelard, on le sait, observant  notamment les bouleversements opérés par la physique dans la première moitié du XX° siècle (avec la théorie einsteinienne de la relativité et la physique quantique), a rompu avec une conception continuiste de la science, telle qu’on pouvait la trouver chez un Auguste Comte. La science naît quand elle se dote de concepts, qui peuvent être seulement de claires définitions (ainsi pour la géométrie euclidienne) ou des notions issues d’une expérimentation contrôlée (par exemple la statique d’Archimède). Elle opère une rupture fondatrice par rapport à un sens commun (par exemple la croyance spontanée que la chaleur monte vers le haut, comme on l’observait dans une cheminée). Mais ensuite elle progresse par bonds, ce qui suppose de l’audace intellectuelle, remettant en cause ce que l’on croyait acquis, et qui présentait cependant des failles.

Dans les sciences humaines, et a fortiori s’agissant de l’histoire, qui les convoque toutes, des ruptures épistémologiques sont forcément d’un autre ordre : on ne peut faire d’expériences en laboratoire, et les mathématiques, qui ont joué un si grand rôle dans les sciences naturelles, ne doivent y être utilisées qu’à bon escient. On ne peut donc y parler d’expérimentation, sauf en un sens très dérivé (la mise en œuvre de politiques ancrées dans une théorie). Et surtout l’objet est foncièrement différent. On y reviendra. Le rapport avec la philosophie n’est pas non plus le même.

Le propre sans doute de la philosophie occidentale est qu’elle s’est bâtie, au moins à partir d’Aristote, en relation avec des linéaments de science naturelle, déjà pour une part mathématisés : il s’agissait d’y réfléchir, de chercher quels éléments de vérité ils apportaient, et c’était déjà une préoccupation épistémologique. L’étude des comportements humains appartenait à un autre champ, celui de l’éthique et du religieux, l’histoire elle-même restant très empirique. Il me semble que, dans les autres civilisations, où pourtant existaient déjà bien des découvertes techniques de premier plan, mais peu théorisées, la pensée était davantage axée sur des préoccupations politiques (l’art de gouverner) au service des Etats - car elles reposaient, selon moi, sur un « mode de production étatique ». Quoi qu’il en soit, c’est dans le contexte occidental que Marx se met en quête d’une science de l’histoire. Or le XVIII° siècle y voit naître une discipline, qui se veut scientifique, pour lui donner une assise, et émancipée des philosophies de l’histoire, comme celles de Locke et Hobbes[1]. C’est l’économie politique.

 

Marx et l’économie politique de son temps

 

Comme on le sait, ses premiers écrits sont d’ordre philosophique, et c’est aux philosophies de l’histoire qu’il s’intéresse, particulièrement à celles de Hegel et des néo-hégéliens. Et elles  sont marquées (surtout celle de Hegel) par la toute nouvelle économie politique. C’est alors vers la lecture de ces économistes, plus encore que celle des historiens (il le dit lui-même, il n’a pas inventé la lutte des classes), qu’il se tourne à partir de 1843, car ils parlent de la vie «réelle », « matérielle », ce qui correspond à son orientation matérialiste, Il les lira tous, et même y consacrera plus tard le grand manuscrit des Théories sur la plus-value, mais c’est Adam Smith qui l’occupe en premier, car il y voit l’auteur de la première véritable rupture épistémologique avec le savoir préscientifique, avec d’une part sa théorie de la valeur comme reposant sur le travail, contrairement à celle des Physiocrates, pour lesquels toute la valeur résidait dans la fertilité de la terre, et d’autre part sa thématisation de la division du travail, telle qu’elle qui s’opère à travers l’échange marchand, et en cela bien différente de la division du travail au sein de la manufacture. A partir de lui en effet on commence à penser le profit comme représentant du surtravail, et le prix comme une quantité de travail dont la valeur moyenne se fixe à travers l’échange. Il faut noter que l’auteur de La Richesse des nations est très éloigné de ce laudateur de la « main invisible du marché » dont les économistes libéraux lui feront porter le costume (il est partisan d’une certaine intervention de l’Etat, et décrit d’une manière sévère l’aliénation dont est victime le travailleur de la manufacture - ce qui ne sera pas le cas du banquier Ricardo). Et il ébauche une théorie de l’histoire, qui marche du même pas que la division du travail, avec ses quatre stades (la cueillette, l’élevage, l’agriculture, la société commerciale), correspondant à des formes diverses de propriété.

S’il y naissance, avec Smith d’une science, c’est qu’elle est très différente de l’économie « vulgaire » qui suivra (celle d’un Jean-Baptiste Say et d’un Frédéric Bastiat), et qui, se fiant aux apparences, croit que non seulement le travail, mais aussi le capital, comme ensemble d’instruments de production, et la terre, comme ressource naturelle, créent de la valeur, et par là sont sources de revenus. Il ne connaissait pas les théories dites (bien à tort) néo-classiques, qui viendront après lui, mais il n’aurait pas eu de peine à démontrer l’inconsistance de leurs concepts, la fantasmagorie de leurs constructions théoriques et leur dérive continue vers une apologie du capitalisme. C’est donc sur cette base qu’il va entreprendre sa première rupture épistémologique, qui va donner naissance à ce que j’appellerai sa première « problématique »[2]. Par comparaison, je dirai qu’il s’agit d’une physique sociale aussi révolutionnaire que le fut, dans son domaine, la physique newtonienne.

 

La première problématique de Marx

 

Elle est la plus vulgarisée, au point d’être apparue comme la formulation canonique du « matérialisme historique ». Elle s’expose dans Misère de la philosophie, Travail salarié et capital, et Le Manifeste du Parti communiste. J’avais essayé de la résumer autour de quatre thèmes majeurs.

C’est d’abord l’opposition entre « vie matérielle » et « formes idéologiques ». L’économique serait, à la suite de Smith, le monde de la production des biens matériels, et l’idéologie le reflet de rapports réels, mais en les travestissant (un « reflet déformé », dira Engels). Mais cette opposition est en fait plus subtile, car il y a deux niveaux de l’idéologie, celui de la conscience immédiate, qui n’est ni celui des représentations justes, ni celui de la pure illusion, et cette conscience est encore plus fausse dans le cas de la classe dominante. Et il y a un second niveau, celui des « formes idéologiques », où le discours élabore l’illusion. Cependant ces dernières ne se manifestent-elles qu’à un niveau supérieur à celui de l’économique, à savoir le niveau politique et juridique, et donc à celui de l’Etat ? C’est ce que pensera, par exemple, Althusser, avec son texte sur les « appareils idéologiques d’Etat », tels que l’école, l’Eglise, ou une institution sportive. Force est de reconnaître que la première problématique de Marx autorise une telle interprétation, qui vide l’économique de sa substance, de ses propres appareils idéologiques, et inversement l’Etat de toutes ses fonctions économiques, par exemple lorsqu’il s’occupe de l’éducation et de la formation des travailleurs. Ce qui nous conduit à la deuxième thématique, celle qui s’illustre avec la célèbre distinction entre « infrastructure » et « superstructure ».

Comment comprendre cette distinction entre la « fondation réelle » d’une société et son « édifice juridique et politique » ? Si la première correspond à l’économique, que faire de toutes ces normes et sanctions qui l’accompagnent,  et que Marx connaît cependant fort bien (ainsi du jeu des règlements et pénalités qu’Engels avait détaillées dans La situation de la classe laborieuse en Angleterre) ? Faut-il y voir un effet de la superstructure sur l’infrastructure (une « surdétermination ») ? Pourtant les deux droits ne coïncident pas. Même chose pour l’idéologie. N’y a-t-il des « professions idéologiques » (l’expression est de Marx) qu’au niveau de la superstructure ? La lutte des prolétaires est-elle seulement une lutte réactive contre les mécanismes de l’exploitation, avant d’être proprement politique ? Tout cela suppose une vision disons économiste de l’économie, qui néglige les rapports de domination, à la fois physiques (la surveillance assidue du travailleur à travers des dispositifs divers) et symboliques (légitimation des rapports de production), logés au cœur même du système économique.

La difficulté de la métaphore infrastructure/superstructure se redouble quand on a affaire à des sociétés précapitalistes, où elle n’est plus claire du tout, le politique (par exemple dans la cité athénienne) ou bien le religieux (par exemple dans le dit « mode de production féodal ») semblant y être l’instance dominante, et où, en tous cas, ils ne semblent pas séparés de l’économique, comme si seul le mode de production capitaliste opérait cette séparation[3]. Voilà qui va fort embarrasser les commentateurs qui s’arrêtent à la première problématique de Marx, au point que certains considéreront que sa théorie ne s’applique qu’au cas du capitalisme et que d’autres iront encore plus loin : Marx aurait certainement fait une remarquable critique de ce dernier, mais il n’y aurait pas d’économie marxiste à proprement parler. Un auteur comme Althusser essaiera de résoudre la difficulté en imaginant une mystérieuse « causalité structurale » qui ferait qu’une « instance » économique déterminerait quelle structure, économique ou non, serait dominante selon les sociétés.

On sera aussi bien en peine pour caractériser des sociétés socialistes, où l’Etat cette fois apparaît comme un acteur à la fois économique et politique. Bref, sans aller plus loin, disons que la métaphore, si suggestive, de l’infrastructure économique et de la superstructure juridique et politique, apparaît finalement comme un véritable obstacle épistémologique, au sens de Bachelard. Elle sera profondément remaniée dans le cadre de la deuxième problématique de Marx.

Troisième thématique ; le couple forces productives/rapports de production, qui est bien le b.a.ba de la théorie marxiste. Ces forces productives sont présentées comme matérielles, et les rapports sociaux comme liés à la propriété des moyens de production, la propriété privée entraînant des formes diverses de dépossession des travailleurs. Voilà qui s’appliquait bien à l’esclavagisme, où l’esclave ne possède même pas sa personne, au servage, où le serf ne peut exploiter pour lui-même qu’une parcelle concédée du domaine du seigneur, et au capitalisme, où le travailleur est  libre, mais ne possède plus que sa force de travail. Mais ce rapport de propriété est bien moins évident dans le cas d’autres systèmes sociaux[4].

De plus le couple de concepts est loin d’être clair.

Que signifie exactement la propriété ? Le propriétaire pourra en effet se présenter lui-même comme un travailleur, exerçant des fonctions spécifiques dès que s’impose une division du travail, et consistant à  mettre à la disposition des autres travailleurs les moyens de production et à leur assigner des tâches, son revenu n’étant que le fruit de ce travail. Telle sera la fonction de « l’entrepreneur » chez les néoclassiques, mais ceux-ci pourront de même considérer que l’esclavage est également un partage des rôles entre le maître qui organise la production et l’esclave qui jouit d’une subsistance assurée, et que le servage est aussi un échange de bons offices entre le seigneur, qui assure une protection, et le « laboureur » qui fait fructifier la terre. Ce qui est escamoté, c’est d’une part la domination, avec ses moyens de coercition, et d’autre part l’ampleur du revenu du propriétaire. C’est plus tard que Marx distinguera les fonctions d’organisation (de « direction ») et les fonctions d’extorsion, au sein d’un procès de formation de la valeur et de répartition du produit.

Que signifient maintenant les « forces productives » ? Elles sont assimilées aux moyens de production, les instruments de production y jouant un rôle essentiel et déterminant : « Le moulin à bras vous donnera la société avec le suzerain, le moulin à vapeur la société avec le capitaliste industriel » (Misère de la philosophie)[5]. Plus tard Marx y ajoutera la science, devenue « force productive directe » (dans les Grundrisse), via les progrès de la technologie, ce qui donnera lieu aux interprétations les plus fantaisistes (fin de la loi de la valeur travail, naissance d’une société postindustrielle, avec l’automation). Force est, cependant, de reconnaître que la notion de forces productives est brouillée : elle est présentée comme une addition de travail direct, d’instruments, de sciences et de technologies, ces dernières devant même la « force productive principale ». On va voir que, dans la deuxième problématique de Marx, cette confusion est dissipée.

Enfin il y a quelque chose de singulier dans le couple forces productives/rapports de production. Alors que les premières ont un contenu matériel, les seconds se présentent comme une sorte  d’enveloppe, plus ou moins « large», dans le texte de la Préface à la Contribution à la critique de l’économie politique.

 

La deuxième problématique de Marx

 

On peut parler ici d’une véritable rupture épistémologique. Elle s’opère à travers la découverte du double caractère du travail, que l’économie classique  n’a pas réussi à dégager  : il est à la fois travail concret, travail utile, producteur de valeurs d’usage, et travail abstrait, c'est-à-dire dépense d’énergie humaine, abstraction faite de tout caractère particulier, dépense qui se cristallise sous forme de quanta de travail, lesquels pourront prendre la forme d’une valeur marchande, mais aussi revêtir d’autres formes. Je pense que cette découverte est aussi fondamentale que, par exemple, celle du couple masse/vitesse dans la théorie de la relativité ou celle du couple onde/corpuscule dans la physique quantique. Elle a la même valeur de généralisation, tout comme, en mathématiques, les géométries non-euclidiennes renvoient la géométrie euclidienne à un cas particulier. La comparaison s’arrête cependant là : la physique newtonienne et la géométrie euclidienne sont parfaitement opératoires à une certaine échelle ou sur une surface plane, le premier schéma marxien est insuffisant.

On sait que la généralité de ce double caractère du travail a été contestée par tout un courant théorico-critique : il n’aurait de sens que dans le capitalisme, le seul à rendre le travail véritablement abstrait, les sociétés précapitalistes ignorant cette distinction. La preuve en serait qu’elles ignorent le plus souvent le terme de travail, le remplacent par bien d’autres vocables, et même ne le mesurent pas. Et l’on s’appuie pour cela sur des passages des Grundrisse, où Marx dit que faire du travail « le rapport le plus simple et le plus ancien de l’activité productive des hommes, quelle que fût la forme de la société, c’est juste à certains égards, mais faux à d’autres », que cette catégorie abstraite n’apparaît pratiquement vraie qu’en tant que catégorie de la société la plus moderne, de telle sorte que « si les catégories de l’économie bourgeoise  possèdent une certaine vérité valable pour toutes les autres formes de société, cela ne doit être admis que cum grano salis. Elles peuvent les contenir sous une forme développée, étiolée, caricaturée etc. »[6]. Or Le Capital dit les choses autrement. D’abord il étend le concept de temps de travail à toutes les sociétés : « Dans tous les états sociaux le temps qu’il faut pour produire les moyens de consommation à dû intéresser l’homme, quoique inégalement, selon les divers degrés de civilisation »[7]. Et Marx de multiplier les exemples. Un Robinson dans son île calculerait « le temps de travail que lui coûtent en moyenne des quantités déterminées de ces divers produits »[8]. Au Moyen Age la corvée est mesurée par le temps de travail. Dans une famille de paysans on mesure aussi « la distribution du travail et sa durée pour chacun ». Il en irait de même dans une société communiste. Ce que Marx veut montrer, dans le chapitre sur la marchandise, c’est que dans tous ces cas la dépense de travail apparaît pour ce qu’elle est, alors que, dans la société bourgeoise, elle se dissimule sous la « forme valeur » du prix de la marchandise. Il y a cependant une autre précision : c’est seulement à travers l’échange régulier, et non plus accidentel, que le temps de travail est mesuré non plus à l’intérieur d’une unité de production, par exemple esclavagiste ou servile, mais entre les unités de production. Quand cet échange n’est pas généralisé, ou pourra effectivement parler alors d’une forme « étiolée » de la valeur, voire inexistante, si ce dernier rapport se fait seulement selon les besoins.

Tout cela ouvre un nouveau champ d’analyse : il faut d’abord analyser les rapports de production avant de voir comment ils se reproduisent, par l’échange ou autrement. Et cela se complique si l’on fait intervenir d’autres paramètres que le temps de travail, à savoir son intensité et sa qualification. S’il est vrai que le temps de travail n’a jamais été mesuré avec autant de précision que dans le capitalisme (avec l’usage des horloges et des chronomètres), les autres paramètres, tels que la pénibilité ou le savoir faire n’y sont évalués qu’approximativement et, de ce fait, ne se retrouvent pas adéquatement dans la valeur de la marchandise, même s’ils ne peuvent être totalement ignorés. Mais c’est justement alors à l’analyse de les faire apparaître pour mesurer le rapport réel d’exploitation

Si le travail abstrait, c’est-à-dire la dépense d’énergie humaine, ne se présente plus à l’état pur, comme du travail « sans phrase », dans les sociétés précapitalistes, c’est aussi parce que, tout en étant plus ou moins grossièrement mesuré, il y connaît ce qu’on pourrait appeler une surcharge normative et symbolique. Par exemple le travail de l’esclave y est présenté comme un travail « vil », ou le travail de l’agriculteur  comme « naturel » par opposition au travail « artificiel » de l’artisan. Des signifiants idéologiques, tels que la dévalorisation du travail manuel ou une connotation religieuse, ont ici la même fonction de masque que la valeur marchande par rapport au travail incorporé, et fonctionnent donc également comme des « formes de représentation ». Marx n’a pas développé ce genre d’analyse, car ce n’était pas son objet d’étude principal, mais, dans le cadre de sa deuxième problématique, et, à la différence de bien des ethnologues et des historiens, qui s’en tiennent aux apparences, il  nous invite à le faire. Dès lors tout l’appareil conceptuel dégagé dans l’analyse du mode de production capitaliste devient pertinent aussi pour les autres formes de société.

J’en dirai ici juste quelques mots. Le double caractère du travail conduit à rebâtir le schéma forces productives/rapports de production. Il y a d’un côté le procès de travail, corrélatif du travail concret, et de l’autre côté le procès de production de quanta de travail. Ce sont les deux faces du procès de production, tout aussi matérielles l’une que l’autre, en ce sens que, si le premier réalise une transformation d’un objet de travail à l’aide d’un instrument de travail, le second est une cristallisation, une « coagulation » d’énergie humaine. Le premier comporte  lui aussi des relations humaines (ce que Marx appelle « la coopération », qui correspond aux diverses formes d’organisation du travail), et le second, qui est une relation homme/homme, est aussi un processus matériel, à savoir cette cristallisation. Le travail vivant, en s’inscrivant dans la matière, devient ensuite du « travail mort », que le travail concret « ressuscitera » lors du procès suivant.

Marx avait déjà, dans sa première problématique, résolu la difficulté qui restait en suspens chez Smith et Ricardo, qui ne parlaient que du travail, lorsqu’il avait distingué la force de travail du travail, ce qui lui permettait de faire une théorie approfondie de la plus-value (=tout ce qui excède ce qui est nécessaire à la reconstitution de cette force, et qui est sous-tend à la fois le profit, la rente et l’intérêt), mais il lui manquait la différence entre le travail concret et sa productivité, et le travail abstrait, avec sa durée et son intensité, ce qui ne lui permettait pas encore de différencier la plus-value relative et la plus-value absolue.

Quant aux « forces productives », elles sont à référer désormais au travail concret. A quelques exceptions près, telles que l’air, elles supposent un travail pour les mettre en œuvre, fût-il rudimentaire. De fait l’expression est remplacée le plus souvent dans Le Capital par des expressions telles que « la force productive du travail » ou « les puissances du travail social ». Et la productivité du travail concret sera fonction de « gradimètres », depuis la pierre taillée jusqu’à l’automation, qui exige aussi du travail (et l’on pourra dire la même chose de l’intelligence artificielle). Quant à la science et la technologie, elles ne sauraient être des forces productives directes : tout le travail de conception, de recherche et d’expérimentation qu’elles impliquent est un travail indirectement productif, qui ne produira ses effets qu’à travers le travail directement productif, ou opératif.

L’opposition « vie matérielle/formes idéologiques » devient caduque tant elle est grossière, puisque la première comporte toute une idéologie, précisément  ces « formes de représentations » qui faussent les rapports réels, loin d’en être un simple reflet. Mieux encore : elle s’accompagne de discours de justification et, dans les sociétés de classe, de légitimation, qui ne relèvent pas encore du niveau politique, mais en sont la matrice. S’agissant du capitalisme Marx s’attache surtout à montrer que le discours du capitaliste s’appuie sur des représentations illusoires, mais dont il n’est pas totalement dupe, celui de l’économiste bourgeois venant le cautionner. Nous ne sommes pas encore à l’époque où des agents d’encadrement, dans l’entreprise même, vont le formater, avec l’aide de spécialistes du « management » (où l’on peut parler de véritables appareils idéologiques). En revanche Marx est très clair sur le double aspect des fonctions de direction et de conception du procès de production, qui sont d’un côté des fonctions de médiation du travail coopératif, relevant du procès de travail, et de l’autre « des fonctions d’exploitation du travail social », qui servent à exercer une « pression » sur le travail vivant. Tout ceci conduit à repenser le schéma infrastructure/ superstructure.

S’il y a déjà dans l’économique des relations de pouvoir et de domination, donc du « politique » (aujourd’hui on parle couramment d’une « politique salariale » ou d’une « politique sociale » de l’entreprise), et des appareils idéologiques, c’est que l’économique comporte sa propre superstructure. Le politique proprement dit se situe à un autre niveau, exerce une autre fonction : celle qui vise la  reproduction du système social tout entier, grâce à des appareils d’Etat : le droit, la justice, la police, mais aussi des appareils idéologiques. Et il devient possible de montrer qu’ils répliquent ceux qui fonctionnent déjà dans l’économique, tout en les renforçant. Il y avait, par exemple, des règlements d’entreprise, avec leurs sanctions, il y aura la législation sur les « sociétés » (définies comme des sociétés de capitaux, et non comme des collectifs de production), puis le code du travail, avec ses milliers de pages. Il y avait les préceptes du management, il y aura des corporations d’universitaires pour en faire la théorie. Si la ligne de partage entre la superstructure économique et la superstructure politique est plus difficile à tracer dans plusieurs systèmes sociaux (les cas classique de la Grèce et de la Rome antiques et celui de la féodalité), c’est parce que ce sont les mêmes agents qui y exercent les fonctions aux deux niveaux. Il serait trop long de le développer ici. Je me contenterai de rappeler ce que disait là-dessus Marx dans Le Capital : « Les Grecs et les Romains avaient leur genre de production à eux, conséquemment une économie, qui formait la base matérielle de leur société […] Ce qui est clair, c’est que ni le premier [la féodalité] ne pouvait vivre du catholicisme ni la seconde [la société antique] de la politique. Les conditions économiques d’alors expliquaient au contraire pourquoi là le catholicisme et ici la politique jouaient le rôle principal »[9]. Mais que signifie ce « rôle principal », sur lequel Althusser s’est appuyé ? Simplement le fait que les citoyens grecs et romains ne l’étaient que de par leur qualité de propriétaires fonciers, et que le haut clergé était lui-même un grand propriétaire foncier, ce qui leur permettait de cumuler les deux fonctions et de se donner le rôle principal au niveau superstructurel.

 

L’épistémologie de Marx

 

Elle est bien bachelardienne avant la lettre, si je puis dire. Pour Bachelard la science construit son objet, les « faits sont faits » ou encore : « le fait est construit, conquis, constaté ». C’est exactement ce que dit Marx dans l’Introduction aux Grundrisse : « Pour la pensée, [le concret] est un processus de synthèse et un résultat, non un point de départ […] Les notions abstraites permettent de reproduire le concret par la voie de la pensée […] La méthode qui consiste à s’élever de l’abstrait au concret est, pour la pensée, la manière de s’approprier le concret, de le reproduire sous la forme du concret pensé »[10]. Il ne faut donc pas partir des représentations immédiates, ou de ce que Spinoza appelait la connaissance du premier genre, comme le fait l’empirisme. On doit seulement les considérer comme une matière première à travailler. Et c’est ce que Marx retient de la méthode hégélienne, à savoir s’élever du phénomène au rationnel, mais l’erreur (idéaliste) était de considérer que le rationnel était la réalité même, alors qu’il n’est que le moyen de cheminer vers le concret, ce dernier restant la pierre de touche. De la sorte le matérialisme historique n’est pas, et ne peut pas être une philosophie de l’histoire, contrairement à la manière dont il est présenté généralement par ses détracteurs, comme Popper par exemple, et même souvent par ses défenseurs. Il est, et se veut, une science de l’histoire. On voit aussi toute la différence avec l’économie qui se dit (à tort) néo-classique. Celle-ci est aussi une construction, à partit de quelques éléments factuels (le marché et ses prix, l’individu calculateur rationnel comparant utilités et désutilités, coûts et avantages), mais elle postule que cette construction est la réalité, se contentant de la corriger quelque peu, quant elle est trop divorcée du concret (par exemple avec la théorie de la « rationalité limitée »), au lieu de la remettre en cause. Au surplus elle est le plus souvent anhistorique.

Tel est donc le premier sens de la dialectique marxienne, comme méthode de pensée. Mais il y a un deuxième sens, précisément dans la mesure où il s’agit d’une science de l’histoire, et non d’une science de la nature. Elle fait intervenir le devenir, avec ses sauts qualitatifs, comme il en existe dans la nature (ce qu’on appelle aujourd’hui ses phénomènes émergents et en ce sens on peut bien parler, avec Engels, d’une dialectique de la nature), mais ce devenir est particulier. On se rappelle la formule célèbre : « Les hommes font l’histoire, mais ils ne savent pas l’histoire qu’ils font ». C’est son début qui fait la différence. Si les hommes seulement ignoraient l’histoire qu’ils font, ils seraient comme tous les autres êtres vivants, immergés dans le cours de l’évolution naturelle, telle qu’on la connaît depuis Darwin, qui a si fortement impressionné Marx et Engels. Si, au contraire, ils font l’histoire, c’est qu’ils prennent conscience de possibles, qui sont autant de potentialités d’action.

Illustrons. D’un côté ils peuvent prendre leur situation comme un destin, comme une loi de la nature. Tant qu’ils ne connaissent pas les lois de cette dernière, ils vont lui trouver un fondement imaginaire. Ce sont alors des forces surnaturelles, qu’ils croient logées au sein de cette nature, qui expliquent leur situation : le soleil, les astres, des puissances chtoniennes, les esprits des ancêtres qui les ont enfantés, des dieux qui leur ressemblent, un Dieu plus ou moins humanisé. Alors ils se fient à ces puissances et tentent de se les concilier. Mais, en même temps, ils transforment leur milieu naturel à l’aide d’artefacts dont ils découvrent les potentialités. Les primates déjà en utilisaient quelques uns, mais, leur coopération et le langage aidant, les hommes en trouvent sans cesse de nouveaux, ce savoir concret n’ayant  plus rien à voir avec un savoir imaginaire. Leur travail (concret) leur ouvre un champ de possibles, mais moyennant des temps de travail (ou travail « abstrait »), qu’ils doivent évaluer et se répartir. Cela ouvre un espace de socialisation et de conflit, et donc à nouveau un champ de potentialités : communauté ou appropriation, égalité relative ou hiérarchies, sociétés sans classes ou sociétés de classes. Bref on sort du domaine de la nécessité pour entrer dans celui des possibles, selon une dialectique complexe entre le procès de travail et le procès de formation et de répartition du produit social, comme on l’a vu. Je voudrais ajouter ici une autre dimension, qui n’est pas abordée de front par Marx : celle des besoins, et par là la question de l’existence d’une nature humaine, qu’il commence par nier en la réduisant, dans l’une de ses célèbre Thèses sur Feuerbach à « l’ ensemble de ses rapports sociaux », pour ensuite la réintroduire en filigrane dans d’autres de ses écrits. Nous pouvons dire aujourd’hui qu’elle présente bien quelques invariants, mais n’est à son tour qu’un champ de possibles que l’histoire et les conditions sociales réaliseront de diverses façons.

Mais, dans la dialectique entre les deux faces du procès de production, quel est le procès principal ? La thèse couramment admise est que c’est le procès de travail (les « forces productives ») qui joue le rôle moteur. Il me semble que, dans la deuxième problématique de Marx, les choses se présentent autrement. Ce sont les rapports de production qui jouent le rôle principal, parce qu’ils modèlent les forces productives, et leur imposent leurs lois (il faut dire plutôt leurs tendances) de fonctionnement. L’histoire le vérifie, notamment celle du capitalisme. Ces rapports de production génèrent certes des luttes de classes, mais qui ne parviennent pas d’elles-mêmes à les abolir. Cependant la thèse marxienne reste vraie, car les forces productives exercent une « détermination en dernière instance », tout d’abord en ce sens que les agents peuvent prendre conscience, dans certaines conditions de désintégration sociale, précisément des potentialités qui étaient refoulées, et ensuite parce que la nature impose, en définitive, ses lois, comme on le voit, par exemple, avec les changements climatiques, les épidémies, l’évolution des espèces vivantes, que ces phénomènes soient naturels ou provoqués par l’homme, tout cela bornant le champ des possibles.

Avec cette catégorie du possible, nous sortons donc de la nécessité naturelle, et l’on voit que les sciences sociales ne peuvent être calquées sur les sciences de la nature. C’est le tort, par exemple de Durkheim à Bourdieu ou de Le Play à Lévi-Strauss, de chercher à mettre en évidence des causalités du même ordre - ce qui donnerait à des savants la connaissance vraie, qui permettrait ensuite d’éclairer les ignorants. En fait les gens du commun savent bien des choses, et, pour un Marx, il s’agit seulement de les aider à comprendre, à compléter et à articuler leur savoir. Même les dominants ne sont pas totalement aveuglés par les apparences et leurs préjugés, le problème étant qu’en réalité ils ne veulent pas savoir, et en particulier qu’il y a d’autres possibles que ceux-là seuls qui sont à leur avantage. Marx certes a été tenté par lui aussi par l’idée de lois sociales et historiques s’imposant aux hommes avec une nécessité de fer, mais ce n’est pas dans l’esprit de sa conception dialectique.

Se pose enfin la question fondamentale de la dialectique historique. La première problématique offre de l’histoire une conception continuiste, parallèle à celle de l’évolution naturelle : une série de modes de production, avec des sauts qualitatifs, le tout s’expliquant par le développement des forces productives, véritable moteur de l’histoire. Et les métaphores utilisées (la matière et la forme, le contenu et l’enveloppe, le décalage entre les deux, la poussée et le frein) font penser à une physique sociale, inspirée de la dynamique des forces, plus qu’à une conception dialectique, en termes de contradictions. L’économie bourgeoise, à sa manière, développait aussi une représentation continuiste de l’histoire, fondée sur le développement de la division du travail et des échanges, menant peu à peu à l’économie de marché généralisée, donc capitaliste, tandis que l’économie marxiste y voyait au contraire, avec la socialisation croissante dans l’entreprise, le travailleur devenant de plus en plus collectif, et le mouvement des échanges interconnectant toutes les unités de production, les prémisses d’un mode de production communiste, ébauché dans les sociétés par actions (antichambre du socialisme) et organisant les rapports entre les unités de production par un plan concerté et conscient. Il ne restait de la conception dialectique que l’idée d’un retour à la thèse (du communisme primitif au communisme achevé), soit une négation de la négation, logiquement supprimée par Staline.

La deuxième problématique ouvre une toute autre perspective. On l’a dit, le rôle moteur est joué par les rapports de production, les forces productives n’exerçant qu’une détermination en dernière instance. Or, si l’on s’en tient à la succession des modes de production exposée dans la première problématique, on ne peut que constater, avec Marx, qu’à chaque fois c’est une classe dominante qui a succédé à un classe dominante, et l’on ne voit pas comment le prolétariat pourrait faire exception. Pour en expliquer la possibilité la première raison énoncée par Marx est que le capitalisme sature tout l’espace social en élargissant sans cesse le salariat, à mesure qu’il détruit les anciens modes de production, si bien que le prolétariat, privé de toute propriété et de tout moyen de subsistance assuré, n’ayant plus que ses chaînes à perdre, ne peut que le renverser. La deuxième raison est que le mouvement des forces productives lui-même pousse à ce renversement, car celles-ci sont de plus en plus socialisées, à l’intérieur des unités de production, avec la grande industrie, et entre les unités de production avec le marché généralisé. C’est elle qui va inspirer  tout un courant réformiste dans le marxisme. Mais Marx pressent que ces raisons ne peuvent suffire.

                                                                                                                                                                                                                              

La troisième rupture

 

Elle se fait jour avec l’ébauche d’une théorie de l’impérialisme,  Certes c’est Lénine qui la formulera. Mais Marx en avait l’idée, comme le prouve le plan qu’il avait conçu dans les Grundrisse : en 3° point, « les colonies. L’émigration », en 4° point « les rapports internationaux, la division du travail entre les différentes nations », et enfin « le marché mondial et les crises ».

L’étude des colonisations de peuplement et d’exploitation, venant après celle des formes antérieures de la production capitaliste, déjà remarquablement développée dans les Grundrisse[11], lui fait mieux connaître des formations sociales complètement différentes de celles de l’histoire européenne, évoquées jusque là surtout sous la figure du despotisme oriental, et ceci à mesure qu’il lit toujours plus de rapports sur l’Inde, l’Egypte ancienne, Java, des sociétés amerindiennes, la Chine bien sûr, et d’autres encore. La « rencontre » commerciale, puis guerrière, entre les puissances européennes (espagnole, portugaise, hollandaise, anglaise, française), dont certaines vont devenir de grands Etats capitalistes, et ces sociétés ouvre une nouvelle période de l’histoire. Celle-ci est marquée  par la violence coloniale, qu’il voit d’abord positivement, en ce que, malgré son horreur, elle les sort de leur traditionalisme et y fait progresser les forces productives, mais qu’il pense ensuite en termes de domination autant économique que militaire, ce qui caractérise précisément l’impérialisme.

Or toutes ces sociétés, dont beaucoup ont pris la forme d’Empires, qui se sont succédé tout au long d’une histoire millénaire non européenne (je pense que ce qui les caractérise, c’est un mode de production étatique dominant), sont à majorité paysanne, avec des communautés villageoises encore vivaces. A la fin de sa vie Marx se demande si ces paysans appauvris ne peuvent pas apporter un puissant renfort à une révolution prolétarienne dont il continue  à voir le foyer dans les Etats capitalistes occidentaux[12]. Ce que l’histoire contemporaine devait vérifier. La contradiction centrale se déplace ainsi vers l’histoire mondialisée entre d’une part l’Occident impérialiste, avec ses capitaux transnationaux, sa puissance militaire, son industrie et ses forces productives développées, et d’autre part les pays sous-développés, victimes des conquêtes, puis, même dans les cas où ils ont conquis leur indépendance, d’un échange inégal.

On sort ainsi d’une conception continuiste, ou évolutionniste, de l’histoire. Mais pas tout à fait, puisque, si des révolutions en Occident deviennent problématiques, l’exploitation des nations périphériques permettant de reverser une partie de ce tribut aux prolétariats du Centre, ces nations, pour se développer, auront besoin des « acquêts » du capitalisme et ne sauront faire l’économie d’une transition. C e sera  en effet, au siècle suivant, le sens de la NEP dans la Russie soviétique et plus tard de la politique de « réforme et d’ouverture » en Chine populaire). L’histoire devra donc faire des détours et la dialectique intégrer un élément de continuité.

La troisième rupture ne s’arrête pas là. Mentionnons seulement la théorie du travail productif et du travail improductif, qui s’esquisse dans le livre II du Capital. Marx en esquisse la portée : une énorme quantité de travail improductif, utile au système capitaliste, est totalement inutile s’agissant de la satisfaction des besoins fondamentaux. C’est notamment le cas de toute une sphère financière se développant au détriment de l’économie réelle. Enfin Marx, véritable précurseur de l’économie capitaliste[13], voit très bien que l’accumulation capitaliste détruit la véritable source de la richesse, la Terre elle-même. On a affaire alors à une dialectique négative, qui n’a pas commencé avec le capitalisme, mais s’est aggravée avec lui : une dialectique où la classe dominante détruit non seulement des hommes, voire des populations entières, mais encore les conditions matérielles de la vie.

Je n’irai pas plus loin dans l’analyse de la dialectique historique, voulant me limiter au legs marxien, mais celui-ci illustre bien sa portée scientifique : un immense travail qui, sans l’énoncer toujours explicitement, a pratiqué plusieurs de ces ruptures épistémologiques qui sont le propre d’une science se faisant, à distinguer des techno-sciences, qui en sont souvent des applications aussi néfastes que dangereuses.

En creusant ce sillon de la dialectique historique, je pense qu’on peut opposer à la dialectique négative des sociétés de classes une autre dialectique, positive, celle de ces modes de production à tendance égalitaire, que Marx s’est attaché de plus en plus à scruter et qui ont jalonné l’histoire, quoique sous une forme généralement dominée, jusqu’à aujourd’hui. Ce qui permet de retrouver une certaine continuité, mais non déterministe (on reste dans le champ des possibles) dans le mouvement dialectique de l’histoire, sans avoir à considérer que seule une nouvelle histoire, celle du communisme, permettra de sortir de ce qui n’aura été qu’une « préhistoire ». Mais je ne puis le développer ici[14].

 



[1] A distinguer de celle d’un Jean-Jacques Rousseau, qui, dans son Discours sur les sciences et les arts, et surtout dans le Discours sur l’inégalité parmi les hommes, a voulu s’appuyer sur des faits, réels ou supposés. Le deuxième Discours peut même être considéré comme une ébauche de ce que sera la conception matérialiste de l’histoire de Marx. Même préoccupation chez  un penseur comme Ferguson, proche d’ailleurs de Rousseau. Le cas de Vico, au siècle précédent, est singulier : bon connaisseur de la méthode constructiviste des sciences, et en cela opposé au cartésianisme, sa science de l’histoire (avec le cycle des trois Ages) restera hautement spéculative.

[2] J’avais longuement développé le passage de cette première problématique à une seconde, et la rupture qu’il représentait, dans l’Introduction générale de mon livre, De la société à l’histoire, tome1, Editions Méridiens Klincksieck, 1989. Je serai ici beaucoup plus bref.

[3] Ce que Karl Polanyi appellera un « désencastrement ».

[4] Ce qui conduira Marx à distinguer la « propriété éminente » de la simple « possession ».

[5] Misère de la philosophie, Edition de La Pléiade, Tome I, p. 79.

[6] Editions de la Pleiade, tome 1, passim, p. 258-260.

[7] Le Capital, Editions sociales, vol. 1, p. 84

[8] Ibidem, p. 89.

[9] Ibidem, passim, p. 93.

[10] Editions Anthropos, p.30.

[11] P. 435-467  de l’édition Anthropos.

[12] Cf. la lettre à Véra Zassoulitch et ses brouillons.

[13] Cf. Le pillage de la nature, de John Bellamy Foster et Brett Clark, Editions critiques, 2022, pour l’édition française.

[14] C’est ce que j’ai développé dans mon livre Matérialisme historique. Les concepts fondamentaux revisités, Editions L’Harmattan, 2022.

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