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Le blog de Tony Andreani
14 novembre 2022

SUR LE SOI-DISANT "PIEGE DE LA DETTE CHINOISE"

On a vu se répéter en chœur dans la presse occidentale l’idée selon laquelle les prêts bilatéraux chinois auraient mis nombre de pays en voie de développement d’Afrique, notamment les plus pauvres, mais aussi d’Asie (on cite les cas du Laos, du Cambodge et du Sri Lanka), dans une situation de surendettement. Et l’on va alors jusqu’à accuser la Chine de néo-colonialisme. On peut se demander quelle est la part d’ignorance et la part de malhonnêteté dans de telles incriminations, dont il est clair qu’elles relaient celles du gouvernement américain.

 Les prêts chinois restent modestes et les moins chers

 Ici les faits parlent d’eux-mêmes. Les pays en développement empruntent principalement auprès de prêteurs commerciaux ou multilatéraux, selon les statistiques de la Banque mondiale,  Parmi les prêts bilatéraux (d’Etat à Etat), qui représentent 26% de leurs emprunts, la Chine en détient moins de 10%. Elle ne se situe globalement qu’au sixième rang des créanciers internationaux, selon la Banque des règlements internationaux. Et, toujours selon la Banque mondiale, seuls 14% de leurs remboursements iront, dans les sept prochaines années, au gouvernement et aux institutions commerciales de la Chine. Dès lors expliquer la montée de l’endettement de ces pays (parfois jusqu’à 80% du PIB, un taux dont pourtant rêveraient bien des pays européens) par les prêts chinois n’a guère de sens. Ce sont toutes sortes d’autres raisons (la pandémie, les effets inflationnistes de la guerre en Ukraine, l’appréciation du dollar) qui les ont mis en difficulté.

On invoque souvent le cas des pays de l’Afrique subsaharienne. Or un examen détaillé montre que la plupart des dettes de ces pays viennent des pays occidentaux (de leurs banques, de leurs gestionnaires d’actifs et de leurs négociants en pétrole), alors que seulement 12% de leur dette est due à la Chine. C’est ce qui ressort d’un rapport récemment publié par Debt Justice, une association basée au Royaume Uni, qui ajoute que, tandis que le taux d’intérêt de la Chine est en moyenne de 2,7%, celui des prêteurs internationaux peut atteindre 5%. A noter aussi que les taux d’intérêts des prêts souverains chinois sont fixes, alors que ceux des créanciers commerciaux occidentaux sont fluctuants. Ajoutons enfin que, tandis que 95% des obligations externes des pays africains sont détenus par des sociétés privées occidentales (états-uniennes, britanniques, européennes et suisses), ces créanciers ont refusé l’initiative de suspension de la dette pour répondre à la crise économique liée à la pandémie. Un exemple est ici particulièrement frappant : le gestionnaire d’actifs états-unien Blackrock, qui attendait un profit de 110% de son prêt à la Zambie, le pays le plus endetté d’Afrique, a refusé la suspension de sa dette pendant la pandémie.

La critique des prêts chinois est donc de mauvaise foi. La mauvaise foi est encore plus frappante quand on déclare qu’ils sont aussi consentis à des conditions exorbitantes. La presse occidentale a ainsi monté en épingle le bail accordé par le gouvernement sri-lankais à une société chinoise pour l’exploitation pendant 99 ans du port de Hambantota, parce qu’il peinait à rembourser le crédit accordé par une banque d’Etat chinoise pour sa construction. Mais il s’agit là d’une garantie tout à fait classique, et cela n’a rien à voir avec une saisie. En outre l’exploitation de ce port a déjà créé nombre d’emplois et ses retombées sont prometteuses (précisons qu’il s’agit uniquement d’un port commercial).

La critique des prêts chinois est aussi fort oublieuse des ravages causés aux pays en voie de développement par des pays occidentaux lors de la crise de leurs dettes dans les années 1980, suite au brusque relèvement des taux d’intérêt par la Banque centrale américaine, et de ceux causés par le FMI et la Banque mondiale, ces institutions sous contrôle états-unien, avec leurs « plans d’ajustement structurel » qui ont dévasté dans les années 1990 l’économie de 160 pays, particulièrement en Amérique du Sud et en Afrique, en leur imposant des réformes libérales, dont ils ne se sont pas encore remis, mais passons.

Les prêts chinois ont servi à construire des bases pour le développement

 Personne ne peut le nier, ces prêts ont eu pour but de favoriser le développement par la construction d’infrastructures (chemins de fer, routes, ponts, ports, bâtiments administratifs, industrie minière, production d’énergie) et non à soutenir les dépenses budgétaires des gouvernements qui ont un effet sur la consommation, alors que les  produits sont souvent importés des pays développés, et ce au détriment de la production locale (par exemple la Côte d’Ivoire, confinée dans la production de cacao, se voyait contrainte d’importer les produits de l’industrie agro-alimentaire occidentale). Il est vrai que les pays sous-développés ont aussi importé de plus en plus de produits chinois, mais c’est parce qu’ils étaient les moins chers.

Nous retrouvons ici le vaste projet chinois de la Route de la Soie (devenue en 2016 la Ceinture et la Route), inscrit dans la Constitution de la Chine en 2017. En deux mots il vise à favoriser le commerce entre la Chine et les autres pays, quels qu’ils soient, si chacun y trouve son intérêt, dans un cadre bilatéral, et non sous les auspices d’institutions multilatérales, dominées par l’Occident. Mais ce qui nous intéresse ici ce sont les rapports entre la Chine et les pays en voie de développement, puisque c’est en se référant à eux qu’on l’accuse de les avoir mis dans un piège de la dette. Or la Chine leur propose explicitement de favoriser leur développement, et ceci sans aucune conditionnalité politique (il ne s’agit pas de trier les bons partenaires, ni de leur imposer des règles de gouvernance ni l’usage de la monnaie dominante), selon seulement un principe gagnant/gagnant. On admettra volontiers que la Chine y trouve des avantages : exporter ses produits industriels (notamment ceux de ses provinces de l’Ouest, qui sont sur le chemin de la Ceinture) et contourner les voies maritimes contrôlées par l’Occident (dans la zone Asie-pacifique et vers l’Afrique et l’Europe, en passant par le détroit de Malacca et le canal de Suez) – rappelons simplement que les Etats-Unis disposent de plus de 750 bases militaires dans 8o pays, dont un grand nombre le long de ces voies, contre 1 pour la Chine (à Djibouti). Il est vrai aussi que la Chine cherche à se procurer, à travers son Initiative, des matières premières dont elle a besoin, et elle ne s’en cache pas, mais en aucun cas il ne s’agit de pillage, ni même d’achat à vil prix. Elle les paie à leurs coûts de production, qu’ils soient produits par des entreprises locales ou par des chinoises implantées sur place. Or ceci, dans tous les cas, favorise le développement, puisque les projets ciblés doivent servir de roues d’entrainement. Et, pour cela, elle a mobilisé ses entreprises d’Etat, sans chercher nécessairement à ce qu’elles en tirent un profit (elles ont même essuyé des pertes énormes, quand plusieurs projets ont échoué).

Mais c’est ici qu’on l’accuse d’un autre grief : celui de ne pas faire travailler la main d’œuvre locale, donc de ne pas y faire progresser emplois et revenus.

 Les prêts chinois favorisent l’emploi local

 Il est vrai que, au démarrage des premiers chantiers, le personnel était principalement chinois, mais c’était du en grande partie au fait que lui seul avait l’expertise voulue. Peu à peu ce sont non seulement des ouvriers locaux, mais aussi des ingénieurs et techniciens, au fur et à mesure qu’ils étaient formés, qui ont pris le relai. Pour ne donner qu’un seul exemple, celui de la construction d’une ligne de chemin de fer au Keynia, aujourd’hui, une fois la ligne achevée, la proportion d’employés locaux atteint 70%, les conducteurs de train et les équipages sont tous Keynians.

Les prêts chinois ne donneraient pas partout de bons résultats

C’est un fait, mais quel pays peut s’assurer qu’il maîtrise des conditions de succès qui ne dépendent pas de lui ? On cite par exemple le cas d’une autoroute au Cambodge construite avec un prêt chinois et attribuée à un concessionnaire chinois, autoroute autour de laquelle ont proliféré des trafics de toutes sortes. Est-ce à la Chine d’y faire la police ? On cite, entre autres, le cas d’une ligne de chemin de fer au Laos, qui n’a pas été suivie par les infrastructures industrielles souhaitées. La Chine n’était pas en charge de la planification de ce pays. On met en cause l’énorme corridor de transport et industriel qui, au Pakistan, doit relier le port de Gwadar à la Chine pour un investissement de 62 milliards de dollars. Si les retombées économiques laissent à désirer en raison de l’insécurité et des conflits qui règnent dans ce pays, ce n’est pas non plus la faute à la Chine. En fait tous ces projets, où certes la Chine trouve intérêt, visent le long terme, qui n’est pas la préoccupation majeure des prêteurs des pays occidentaux et du Japon.

Le seul problème est alors celui du rééchelonnement des dettes, voire de leur annulation dans le cas des pays les plus pauvres. Si la Chine a refusé de s’aligner sur les pays occidentaux membres du Club de Paris, c’est qu’elle préfère régler les problèmes de dette dans le cadre de négociations bilatérales tenant compte précisément de la situation de chaque pays partenaire. C’est ainsi que, s’agissant de 15 pays africains, elle a, après la crise du Covid, allégé leur dette afin d’annuler un certain nombre de prêts gouvernementaux sans intérêt arrivés à une certaine échéance, et qu’elle a suspendu le service de la dette de 19 pays africains, faisant plus que tous les autres membres du G20. Voilà ce que les articles de la presse occidentale se gardent bien d’évoquer.

L’initiative de la Ceinture et de la Route n’est pas un long fleuve tranquille. Mais, en dehors des objectifs géopolitiques de la Chine, visant à la préserver des pressions et des menaces occidentales, dont il ne sera pas question ici, elle offre bien des perspectives de développement à des pays relégués, longtemps chasse gardée des pays occidentaux, leur permettant à la fois de retrouver une souveraineté et de combler peu à peur le fossé de l’échange inégal avec eux. S’il y a un problème à affronter, c’est celui de la soutenabilité écologique de ce développement.

 

 

 

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