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Le blog de Tony Andreani
25 novembre 2018

RAPPORTS SOCIAUX ET RAPPORTS INTERINDIVIDUELS : UN POINT OBSCUR DE LA PENSEE MARXIENNE

 

 

On sait la volonté de Marx de revenir aux individus concrets, vivants, réels, de chair et de sang, avec leurs besoins, leurs capacités, leurs joies, leurs souffrances, leurs révoltes. C'est pourtant le même Marx qui en fait la personnification de rapports sociaux, qui leur attribue un être et des intérêts de classe. Cette dualité du discours marxien a donné lieu à des lectures diamétralement opposées, telles que d'un côté celle du structuralisme althussérien, où le sujet concret disparaît derrière le porteur de fonctions, et de l'autre celle en termes d'action rationnelle, chez un Elster par exemple, ou encore l'interprétation subjectiviste d'un Michel Henry. Je pense que chacune de ces lectures est réductrice et déformante, mais qu'elle trouve ses justificatifs dans le fait que Marx n'a jamais su distinguer et articuler clairement deux sphères opposées, la sphère du travail et la sphère du « temps libre » ou de la « consommation », la première correspondant aux rapports sociaux et la seconde aux rapports interindividuels. Il ne s'agit pas d'un point aveugle, car Marx s'est approché de cette distinction, mais bien d'un point obscur. Avant de la préciser et de montrer son importance décisive pour la théorie des sciences sociales, je voudrais résumer les termes actuels du débat.

 

La controverse dans les sciences sociales et les deux lectures de Marx

 

Je rappellerai d'abord succinctement quelques unes des critiques adressées par les théoriciens de l'action rationnelle au structuro-fonctionnalisme de Marx et de ses successeurs. Les individus, disent-ils, ne sont pas des agents que leur place dans les rapports sociaux constituerait en membres d'une classe se comportant comme un sujet collectif, pour la bonne raison qu'il n'y a pas de sujet supra-individuel, seules des personnes ayant des « états mentaux ». Ils ne sont pas des mécaniques agies par les structures, parce qu'ils ont des « compétences », sont doués de conscience réflexive et de volonté, interprètent les règles sociales, rusent avec les contraintes, cherchent à les modifier à leur avantage, déploient des stratégies. Bref ce sont des acteurs, mais des acteurs dont les actes ont souvent des conséquences inintentionnelles, en sorte qu'ils ne les reconnaissent pas dans leurs résultats. Dès lors une institution ne saurait avoir une fonction (reproductrice ou adaptative), car cela reviendrait à lui attribuer une entéléchie cachée, alors qu'elle n'est rien d'autre que le produit, voulu ou non voulu, de l'action de ceux qui y sont impliqués. Les théoriciens de l'action rationnelle postulent que tout individu fait un calcul coûts/avantages grâce auquel il cherche à maximiser, sous contraintes, sa satisfaction ou son profit, et qu'il ne participe à une action collective que pour autant qu'il en attend un bénéfice personnel proche et tangible. Sur le plan épistémologique ils récusent tous les modèles inspirés des sciences de la nature ou de la vie, puisque ces derniers ne font pas droit aux caractères propres à l'action humaine : conscience réfléchie, savoir des règles, effets des représentations sur le cours même de la vie sociale etc.

D'où une relecture de Marx, chez qui l'on ne manque pas de trouver nombre d'analyses en termes d'action délibérée aux conséquences imprévues, la plus célèbre étant celle des capitalistes individuels qui, en cherchant à augmenter leur taux de profit, aboutissent collectivement au résultat inverse, la baisse de ce taux. Toutes les analyses mécanicistes ou fonctionnalistes de Marx ne seraient que des vues inspirées par la naturalisme régnant dans l'épistémé de l'époque, ou bien des scories et bévues. De fait Marx fait souvent référence aux individus isolés, en montrant que (pour employer un langage qui n'est pas le sien) leurs stratégies ont des effets pervers ou sont sous-optimales.

Cette interprétation de l'agir et cette lecture de Marx, qui donnent souvent des résultats intéressants et convaincants (je pense par exemple à la Logique de l'action collective de Mancur Olson), laisse néanmoins échapper, nous le verrons, ce qui faisait et ce qui fait toujours la spécificité et la profondeur des analyses marxiennes. Mais voyons la position adverse.

La théorie de l'action rationnelle manque à voir d'abord le caractère « mécanique », c'est-à-dire irréfléchi, routinier, de la plupart des comportements, ceux qui caractérisent la « vie quotidienne » en général. Ce n'est pas que les agents soient dénués d'intelligence et incapables de stratégies, mais ils n'agissent précisément qu'à l'intérieur des limites définies par la structure, parce qu'ils n'ont nullement une claire conscience de celle-ci, mais l'ont au contraire « intériorisée » et « incorporée ». Pour reprendre l'image du jeu chère aux théoriciens de l'action rationnelle (laquelle devient un véritable modèle théorique avec l'utilisation de la théorie des jeux), les règles ne sont point posées devant eux comme un ensemble de contraintes objectives, mais perçues intuitivement et implicitement, un peu comme les règles de grammaire que nous suivons en parlant sans être pour autant à même de les expliciter. C'est ainsi qu'un auteur comme Bourdieu (qualifié souvent de néo-marxiste) tente de concilier l'effet des structures sur les individus avec la richesse et l'ingéniosité de leurs pratiques. La théorie de « l'habitus » et du « sens pratique » devrait permettre de dépasser à la fois une philosophie de la structure et une philosophie du sujet. Cela permettrait de comprendre l'existence de comportements collectifs (qu'on pourrait comparer à une somme de broderies sur un canevas commun) sans tomber dans la croyance à des entités collectives supérieures aux individus et à une fonctionnalité propre des institutions.

Cette opposition théorique trouve des répondants chez Marx. Ne le voit-on pas tantôt insister sur le rôle nécessitant des structures, tantôt montrer que les agents peuvent prendre conscience, s'organiser, mener des luttes sociales de classe? Je montrerai tout à l'heure que les deux perspectives sont chez lui indissociables. Pour revenir au débat actuel, il faut noter que les deux positions antagonistes se sont assouplies. Les théoriciens de l'action rationnelle ont admis que la rationalité était toujours plus ou moins limitée, et les partisans du néo-structuralisme qu'il restait une large place pour les stratégies individuelles, même au niveau des habitus. Un certain nombre d'auteurs ont tenté une synthèse, la plus riche et la plus articulée étant sans doute celle de Giddens, qui se propose de montrer que les structures ont à la fois un caractère contraignant et habilitant, que la conscience pratique coexiste avec une conscience discursive, que les propriétés structurelles sont à la fois le medium et le résultat de l'action etc. Je ne m'attarderai pas sur cette tentative de synthèse, à laquelle je ferai quelques emprunts. Ce que je voudrais souligner ici c'est que les deux approches laissent inexpliqués un certain nombre de phénomènes et qu'il convient de s'engager dans une autre direction, qui aille au-delà des essais de synthèse.

 

Des questions non résolues

 

La première série de problèmes concerne d'abord le changement, dont il faut comprendre à la fois la lenteur et les brutalités. L'école de l'action rationnelle reprochait aux auteurs structuralistes, et à Marx en particulier, leur incapacité à expliquer le changement, sinon de manière tout-à-fait exogène, par l'effet d'une structure sur une autre. Mais, ce que l'on voit mal, en adoptant leur perspective, c'est pourquoi le changement n'est pas constant et régulier, chaque acteur essayant de tirer le meilleur parti des règles et finalement de les transformer à son avantage. Au contraire une théorie comme celle de l'habitus rend très bien compte du caractère reproductif de la vie sociale, puisque celle-ci repose essentiellement sur des routines. Mais c'est elle à son tour qui a du mal à expliquer le changement, autrement que par la lutte entre institutions, les contradictions entre champs et une division dans les habitus eux-mêmes. L'une et l'autre approche manquent à expliquer la création des institutions, qui apparaît plus comme un mouvement de rupture que de continuité. Pour la première elle devrait résulter de la combinaison d'actions individuelles pour autant qu'elles répondent à des besoins de consommation ou de production, les institutions les plus efficaces étant sélectionnées par un mécanisme comparable à la sélection naturelle. Or l'observation historique s'inscrit bien souvent en faux contre cette conception. Pour l'autre l'innovation est difficilement concevable, car elle suppose une créativité des agents supérieure à celle que comportent les habitus. De même la première école explique assez bien la constitution de mouvements collectifs, mais mal leur durabilité, tandis que la seconde analyse bien la permanence des groupements d'intérêts, mais plus difficilement leur surgissement.

Deuxième série de problèmes, du reste liés aux précédents. Comment rendre compte des résistances dans les théories néo-structuralistes? Polémiquant contre la théorie althussérienne des appareils, qui sont comme des « machines infernales » assujettissant les individus, Bourdieu note que « ceux qui dominent dans un champ donné sont en position de le faire fonctionner à leur avantage, mais ils doivent toujours compter avec la résistance, la contestation, les revendications, les prétentions, « politiques » ou non, des dominés » (1). Fort bien, mais, si le champ conditionne les habitus, si « les tendances immanentes de l'ordre établi viennent continuellement au devant des attentes spontanément disposées à les devancer » (2), si enfin l'habitus fait apparaître le monde comme naturel, comment des résistances et des contestations sont-elles possibles? Question inverse, posée cette fois à la théorie de l'action rationnelle : si les individus ont une conscience, même limitée, des règles et contraintes du jeu social, comment peuvent-ils s'y soumettre et y consentir sans les remettre en question?

Troisième série de problèmes : comment les individus peuvent-ils se comporter de manière « irrationnelle », c'est-à-dire à la fois agir contre leurs intérêts bien compris et employer les moyens les plus inadéquats? On pourrait l'expliquer en termes de connaissance imparfaite. Les deux écoles à cet égard ne sont pas si distantes qu'il y paraît, et on les voit même se rapprocher singulièrement lorsqu'un Herbert Simon explique que l'information limitée conduit à restreindre ses objectifs et à se contenter de la moins mauvaise solution, au lieu de rechercher l'optimum. Il faut reconnaître cependant qu'une sociologie néo-weberienne comme celle de Bourdieu dispose de ressources ignorées par la théorie adverse : elle montre que les dominants, pour obtenir le consentement des dominés mais aussi pour se faire reconnaître de leurs pairs, conduisent des stratégies de légitimation, c'est-à-dire en remettent par rapport à la violence symbolique exercée par les règles elles-mêmes, renforcent les effets de naturalisation qui résultent de la simple incorporation des règles.

Le lecteur aura reconnu ici des problèmes qui étaient déjà chez Marx : comment les agents peuvent-ils se tromper sur leurs intérêts à long terme, comment les ouvriers par exemple peuvent-ils avoir des comportements individuels qui contredisent leurs intérêts de classe? A supposer même qu'ils se contentent d'un calcul égoïste, comment se fait-il qu'ils n'en voient pas les conséquences? Et pourquoi, dans ces conditions, les dominants auraient-ils encore besoin d'exercer des fonctions idéologiques à des fins d'occultation-légitimation? Ces derniers se laissent-ils prendre à leur propre idéologie, ou bien l'utilisent-ils cyniquement? Je reviendrai tout à l'heure rapidement sur la subtilité inégalée des analyses de Marx. Mais la réponse en termes de connaissance imparfaite ou de méconnaissance paraît foncièrement insuffisante, au moins pour deux raisons.

L'intérêt mène-t-il le monde? Si l'on ne confond pas l'intérêt avec la recherche d'une satisfaction, quelle qu'elle soit, l'intérêt concerne la possession de biens, qu'il s'agisse de biens matériels ou de services (comme ceux du coiffeur, du médecin etc.). Il est généralement admis que c'est la modernité, soit, pour aller vite, les rapports marchands et le capitalisme, qui ont fait triompher l'intérêt matériel sur le désir de prestige, de puissance, la générosité et autres sentiments moraux. Conception à l'évidence trop étroite. Peut-on se contenter d'élargir la notion d'intérêt vers des formes de profit non matériel (« profit culturel », « profit symbolique ») en soulignant la force de l'engagement dans le jeu social, l'intérêt pris au jeu lui-même? Pour Marx l'utilitarisme à la Bentham reflète une mentalité de « petit bourgeois », une forme de perversion sociale, mais il n'est pas très clair sur les autres mobiles, ni sur ceux de l'homme communiste à venir (il faut remonter aux Manuscrits de 1844 et à quelques indications de L'idéologie allemande pour trouver une théorie des besoins). Toutes ces approches paraissent bien ne pas tenir compte de ce qu'on appelait « les passions » (au sens classique, au sens romantique etc.) avec tout ce qu'elles comportent d'aveuglement sur les fins et les moyens. Or peut-on rendre compte sans elles de l'irrationalité des comportements humains, et particulièrement de la violence de la conflictualité dans les rapports sociaux? Plus généralement le bruit et la fureur de l'histoire moderne sont-ils réductibles à des conflits d'intérêts, même au sens élargi du terme?

Une deuxième raison conduit à mettre en doute la rationalité - que ce soit celle de l'acteur ou celle, plus inconsciente, de l'agent -, c'est l'importance des phénomènes de croyance. Bien sûr on pourrait expliquer la croyance par la méconnaissance des déterminations sociales. Bourdieu montre par exemple excellemment comment l'action pédagogique fonctionne comme magie sociale : par ses rites de consécration elle fait croire au mérite personnel et aux vertus de groupe, dissimulant à la fois l'origine sociale de ses critères et la portée sociale des techniques mises en oeuvre (techniques de forcing, de maîtrise de soi etc.). On peut dire ici que la croyance repose sur une connaissance tronquée des processus réels. Cependant la croyance va bien souvent au-delà de ce qui « nous arrange », de ce qui correspond à nos intérêts.

Voici quelques unes des raisons qui nous invitent à repenser l'ensemble des phénomènes sociaux dans une autre perspective, seulement entrevue par Marx et ayant très largement échappé aux différents courants de la théorie sociale contemporaine(3). C'est elle que je voudrais présenter brièvement maintenant.

 

La sphère du travail et sa rationalité

 

Il existe, selon moi, deux grandes sphères de l'existence humaine, que j'appellerai la sphère des activités de travail et celle des occupations de temps libre, ou de « consommation ». Il faut entendre par travail une activité soumise à des contraintes de temps et de résultats, dont la finalité ultime est la production régulière de moyens de consommation (au sens le plus large du terme). Il ne s'agit pas seulement des activités dites économiques. Sont aussi du travail les activités qui visent à la reproduction/transformation du système social en même temps qu'au règlement des conflits dans la sphère « privée » du temps libre - c'est-à-dire les activités politiques. L'ensemble de ces activités s'inscrivent dans des rapports sociaux, parce que les individus doivent y remplir des fonctions dans un système de répartition du travail, que la temporalité n'y est pas celle de l'existence individuelle, mais celle de l'organisation « productive », que les besoins individuels passent au second plan devant les finalités sociales. Si l'on veut bien prendre ces définitions à leur plus grand niveau de généralité, elles s'appliquent à toute société : ce qui fait le propre d'une société humaine, ce sont bien cette organisation, cette planification, cette répartition de l'activité, une activité qui a toujours un caractère structural (4) et transformateur, autant de traits que l'on ne trouve pas réunis dans les sociétés animales.

Examinons donc cette sphère. Ce n'est pas faire de l'économisme que de dire que les activités de travail sont rationalisantes. Elles visent bien un résultat optimal à travers un agencement de moyens optimal, impliquant une économie de ressources, à commencer par une minimisation de l'effort : maîtrise du produit par la maîtrise des moyens. A cet égard on peut entièrement accepter la théorie du choix rationnel. Sous sa forme la plus pure une telle théorie suppose seulement que la meilleure alternative est retenue parmi toutes les alternatives réalisables : elle s'applique aussi bien, disent Ferejohn et Satz, à « des entités comme les thermostats ou les pigeons » (5). Disons que, dans le cas des humains, l'activité rationnelle implique de longs apprentissages éducationnels et ouvre largement le champ du réalisable ainsi que la possibilité de choix. C'est pourquoi, par exemple, un ouvrier qui accomplit des tâches mécaniques, s'il est davantage sujet qu'un robot à des erreurs ou à des ratés de comportement, lui est infiniment supérieur quand il s'agit de faire face à l'inattendu et à l'incertain. Cette rationalité « téléologique », pour parler comme Max Weber, existe tout autant chez l'homme primitif que chez l'homme civilisé, l'homme technicien ou l'homme scientifique : seuls les moyens diffèrent. Il faut même aller plus loin : des activités comme la magie et la prière, pour autant qu'elles viennent combler les lacunes du savoir empirico-logique par un savoir et une pratique symboliques(6)(c'est le cas dans les sociétés primitives ou traditionnelles, où elles ne se confondent nullement avec ce dernier, qui est une véritable science concrète), sont aussi des activités rationnelles - abstraction faite d'autres finalités subjectives et sociales. Cette rationalité téléologique tend, dans la sphère du travail, à être indépendante de la « psychologie » des agents. Tout enfant déjà qui a construit ses apprentissages a dû se plier à l'épreuve du réel, couler son action dans des contraintes objectives, s'il voulait la réussir. De même l'homme au travail doit « s'oublier » pour faire le geste, suivre la norme ou la procédure efficaces.

Jusqu'ici je n'ai parlé que des rapports de travail qui visent à une productivité du travail (au sens de Marx), qu'on peut résumer ainsi : le maximum de résultats avec le minimum de dépense de travail. Ils diffèrent des activités de temps libre, où l'on peut prendre son temps, même si l'efficience peut être recherchée (par exemple dans l'effectuation d'une performance sportive) mais comme un projet individuel parmi d'autres, qu'on garde toujours la liberté de réduire ou d'abandonner. Mais ces rapports de travail s'inscrivent dans une structure sociale (des rapports de production au sens de Marx) qui met en jeu des pouvoirs de détermination des quanta de travail et de répartition de la « valeur » produite (laquelle renvoie, directement ou indirectement, à des dépenses de travail, qui doivent être socialement validées), lesquels à leur tour génèrent des pouvoirs concernant la distribution (ou l'allocation) des forces de travail, des moyens de production, et des moyens de consommation(7). La rationalité prend ici un sens tout différent : est rationnel ce qui correspond aux fins d'un système social particulier, ce qui reproduit tel régime de propriété. Je pourrais montrer ici, toujours en suivant Marx, que les rapports de travail déterminés par les formes de propriété privative (à distinguer de la propriété simplement privée) sont sous-optimaux. En d'autres termes les rapports de classe freinent, mais aussi occultent et inhibent divers aspects de la productivité du travail. Plus exactement ils ne développent que certaines potentialités contenues dans le procès de travail.

L'idée générale que je voudrais soutenir ici, c'est qu'un système économique est par nature de type utilitariste, puisqu'il s'agit de maximiser une production dans un cadre social donné. Il est vrai qu'un système ne pense pas, n'a pas de buts indépendamment de ceux qui sont poursuivis par les agents. Mais précisément c'est le système qui fait que les agents ont tels et tels buts. Je prendrai trois exemples de systèmes très différents.

Quand un groupe d'hommes va à la chasse, dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs nomades, il se propose bien d'optimiser le produit de cette chasse. Ici cela veut dire : tuer juste le gibier nécessaire à la subsistance quotidienne, tout en préservant la ressource elle-même. En l'absence de pratiques de conservation et de stockage de la viande, de techniques d'élevage, et d'échanges avec l'extérieur (si ce n'est sporadiques), il serait inutile ou contre-productif de viser plus de résultats. Comme, par ailleurs, le produit de la chasse sera réparti égalitairement, le chasseur n'aura d'autre intérêt individuel que de faire preuve d'esprit coopératif (toute attitude individualiste ou même toute recherche de prestige sont mal vues dans ces sociétés où les valeurs dominantes sont la générosité et la modestie)(8). Néanmoins toutes les possibilités productives ne sont pas exploitées : les techniques de conservation ne sont pas ignorées, mais écartées car les chasseurs savent qu'elles mettraient en péril la cohésion de leur société.

Deuxième exemple. Dans l'atelier corporatif le but est de produire une quantité donnée selon une qualité donnée. La production est certes destinée à la vente, mais elle est encadrée par des règlements corporatifs qui, pour éviter la concurrence, fixent le nombre d'outils de production et le quota de marchandises autorisés. Ici encore il y a une recherche d'optimum. Mais cette fois les intérêts sont des intérêts de classe. Le maître (qui travaille comme les autres et a dû passer des épreuves consacrant sa maîtrise) appartient à une corporation qui a longuement négocié les « tarifs » avec l'association des compagnons. Ces intérêts sont antagonistes, mais n'opposent pas les individus les uns aux autres. En particulier le salaire au rendement n'existe pas. Quant aux possibilités productives, elles sont largement sous-exploitées. Les règlements interdisent nombre d'innovations.

Troisième exemple : l'économie fondée sur la maximation du taux de profit, maximation qui est  considérée comme l'action rationnelle par excellence dans la conception néo-classique. Ici encore l'optimum n'a de sens que dans un système social particulier. Cette notion suppose d'abord une économie concurrentielle et monétaire, et l'hypothèse de rationalité implique que cette économie est plus efficace que tout autre. Cette hypothèse est déjà contestable : la concurrence n'a pas que des avantages et le prix est un indicateur très pauvre en information. Elle implique en second lieu que le capital reçoive un revenu (l'intérêt) comme le travail, ce qui renvoie à la psychologie des agents (les motifs de l'épargne). Nous sortons de la rationalité formelle vers la rationalité substantielle (l'intérêt au sens psychologique). A nouveau cette postulation est contestable : à supposer que l'intérêt soit le meilleur moyen pour allouer des ressources rares, l'épargne pourrait très bien ne pas être le fait des ménages. Reste la troisième implication : c'est l'intérêt qu'il faut maximiser (on sait que dans le modèle purement concurrentiel aucun profit ne peut se réaliser au-delà de l'intérêt). Nous nous trouvons alors devant une économie à structure capitaliste. Il suffira que (en sortant du modèle pur) on introduise une condition supplémentaire, à savoir que les détenteurs du capital doivent être distincts des travailleurs afin que des décisions économiques optimales soient prises, pour que l'on retrouve le capitalisme proprement dit. On voit bien à nouveau qu'il faut distinguer une rationalité générale (la nécessité pour un système productif quelconque de dégager un surplus pour qu'il se développe, soit de manière extensive, en accroissant le nombre de moyens de production, soit de manière intensive, en les modernisant, - surplus qui peut aller de pair avec une réduction du travail dépensé, en cas de forte augmentation de la productivité) et une rationalité spéciale, la rationalité capitaliste, dont les effets sous-optimaux (à l'intérieur du système, par rapport aux potentialités) ou négatifs (à l'extérieur des entreprises, sous forme d' « externalités ») sont considérables.

Dans tous les cas nous sommes devant une forme de rationalité et une logique d'intérêts, même si l'intérêt peut passer (comme dans le cas de nos chasseurs) par la négation de l'intérêt individuel. Tant qu'on en reste à ce niveau (tant qu'on ne fait pas intervenir les effets de l'autre sphère), il n'y a pas de comportement désintéressé ni passionnel. Quand l'intérêt n'est pas matériel, cela signifie seulement qu'il passe par un certain nombre de médiations, qui se situent au niveau de la reproduction du système. Prenons deux exemples. Pierre Bourdieu a très bien montré que, dans la société kabyle, les dépenses symboliques (qui peuvent être très importantes) ont une fonction économique précise : les chefs de maisonnée, qui ont besoin de forces de travail nombreuses à certains moments de l'année, ont intérêt à s'attacher toute une clientèle, appartenant généralement à leur parentèle, par des dons de toutes sortes, pour obtenir d'eux les prestations de services dont ils ont besoin au nom de la reconnaissance qui leur est due. Cela leur revient finalement moins cher que de rétribuer des gens à longueur d'année. Deuxième exemple : dans notre société un certain nombre de professions visent à obtenir, outre des rémunérations matérielles, un « profit symbolique » (les enseignants par exemple). C'est que ces professions, outre les services qu'elles peuvent fournir et qui en font des producteurs comme les autres (formation de la force de travail, services culturels), sont, pourrait-on dire, des chargés de mission idéologiques : à cet égard le profit symbolique (et toute la compétition qu'il entraîne) est une nécessité fonctionnelle répondant aux exigences du système (y compris lorsqu'ils le contestent, comme le font des enseignants - car la liberté de l'enseignement est un des moyens de légitimation d'un système qui se veut par ailleurs démocratique au niveau politique).

Nous pouvons revenir maintenant à la question posée tout à l'heure : comment les agents peuvent-ils aller contre leurs intérêts? La réponse la plus riche se trouve chez Marx, et je vais essayer de la résumer très rapidement.

Marx analyse longuement dans Le Capital ce qu'il appelle les « formes immédiates de représentation », principalement la forme valeur de la marchandise, la forme monnaie, la forme capital et la forme salaire. Or le propre de ces formes, qui sont vécues au niveau de la conscience immédiate (ou encore de l'idéologie spontanée), est qu'elles dissimulent et manifestent à la fois les rapports réels. Par exemple le fétichisme de la marchandise n'est pas pure illusion : certes les agents pensent qu'elle possède une valeur intrinsèque ou conventionnelle, mais en même temps ils n'ignorent pas qu'elles est aussi du travail cristallisé et que son prix varie selon qu'elle est plus ou moins offerte et demandée. Le rapport des individus à la structure est donc un rapport de méconnaissance, qui vient de ce qu'ils n'y occupent, surtout dans les sociétés complexes, qu'une place étroitement bornée par la division du travail. On peut bien dire qu'ils ne disposent que d'une information imparfaite ou asymétrique, mais le résultat est que leur savoir en est faussé et trompeur. La notion de rationalité limitée ne convient pas à ces formes « irrationnelles ». Mais inversement on ne pas peut dire que les individus ont « intériorisé » ou « incorporé » une structure (par exemple la structure marchande) dont ils seraient incapables d'expliciter le fonctionnement. Car ils en connaissent bien quelque chose, mais de façon déformée (la camera obscura fournit bien une certaine image du réel). Et c'est une des raisons qui expliquent que les structures ne soient pas seulement contraignantes, mais aussi habilitantes, comme le souligne fort bien Giddens - et ceci sans quitter le niveau des routines ou du sens pratique. Par exemple dans l'univers marchand les agents ne se contentent pas d'ajuster leur demande en fonction d'un prix qui leur apparaîtrait comme une donnée naturelle. Ils attendent, ils spéculent, ils font pression sur le vendeur (« j'ai trouvé moins cher ailleurs »), ils s'étonnent qu'un produit qui a dû demander tant de travail soit aussi peu cher ou inversement qu'un produit aussi simple à fabriquer soit aussi onéreux etc. Ils ont toujours plus de savoir que ne le croit le sociologue pressé de conclure. Mais évidemment ils ne suivent pas pour autant leurs intérêts réels : pour cela il faudrait qu'ils en sachent beaucoup plus, qu'ils connaissent tous les mécanismes de formation des prix. Autre exemple : l'ouvrier qui ne s'associe pas dans une forme quelconque d'action collective agit contre ses intérêts. Le théoricien de l'action rationnelle dira qu'il compte sur les autres pour la mener tout en espérant en obtenir le bénéfice. C'est oublier que l'ouvrier n'est pas un « idiot rationnel » (pour reprendre l'expression de Sen) : il sait bien que si chacun en fait autant, cela ira au détriment de tous. Le théoricien structuraliste dira qu'il a « intériorisé » la règle concurrentielle. Ce n'est pas si simple. Notre ouvrier en sait beaucoup plus sur le marché du travail que ce qu'on croit : il sait que ce marché n'est pas un pur marché, que le travail n'est pas une simple marchandise, que le marché des cadres comporte bien d'autres règles, que le patron ne fait pas que verser (ou se verser) des intérêts etc. Autrement dit il n'est pas entièrement dupe de la « forme salaire ». Il a bien une certaine conscience des mécanismes de l'exploitation. Et ce savoir, si déformé soit-il, est habilitant. Il faut donc chercher ailleurs les raisons d'un comportement qui, pour s'en tenir à l'intérêt individuel immédiat, va contre l'intérêt à long terme (par exemple le souci, bien compréhensible, non de tirer son épingle du jeu, mais d'améliorer sa situation ou celle de ses enfants à certains moments de son existence, la défiance par rapports aux syndicats, la peur des sanctions etc.).

L'idéologie spontanée est suffisamment riche de savoir pour susciter des résistances et des contestations de l'ordre établi. Elle entraîne des luttes « économiques », « politiques » et « idéologiques » sans quitter pour autant le terrain de l'infrastructure économique. C'est en réponse à ces luttes que les dominants doivent mettre en place des dispositifs de coercition et de légitimation, effectuer tout un travail idéologique qui renforce l'opacité des structures, vient masquer un peu plus les rapports réels. On le voit, les structures sont inséparables des luttes, des luttes génèrent de nouvelles structures, et ainsi de suite, jusqu'aux appareils politiques proprement dits. Tout cela, Marx l'a analysé souvent avec une grande précision, bien loin de donner dans un fonctionnalisme ad hoc ou dans un structuralisme nécessitant. On comprend aussi que le travail de domination ne résulte pas d'un pur calcul cynique : les dominants croient d'autant plus volontiers à la valeur de leurs méthodes de contrainte et à leur discours de légitimation que les formes de représentation dans lesquelles ils baignent (les « illusions » du capitaliste, dit Marx) leur semblent leur fournir une base empirique.

La théorie marxienne fournit bien d'autres éléments pour comprendre la méconnaissance des structures. Les individus participent à plusieurs espaces qui se déterminent les uns les autres, en grande partie derrière le dos des agents. Il y a des espaces emboités les uns dans les autres, par exemple dans une entreprise (je viens d'y faire allusion). Mais il y a aussi des espaces dont les uns servent à la reproduction (fournissent les conditions d'effectuation des autres) : ainsi le marché ou les structures de la parenté permettent la reproduction du « procès de production immédiat ». Il y aussi des liens non marchands entre tel ou tel champ productif, par exemple entre l'école et les entreprises. En mettant un ordre de détermination entre tous ces espaces, Marx nous permet de comprendre les homologies ou les isomorphismes qui existent entre eux, là où la plupart des théories sociologiques ne voient que des liens d'extériorité ou de simples interactions de type systémique. Or l'action d'une structure sur une autre contribue à rendre la structure indéchiffrable. Les individus ne voient guère comment agissent un certain nombre de règles ou de contraintes qui viennent d'ailleurs. Par exemple ils ne savent pas bien à quelles finalités sociales répond l'école. Mais en même temps ils ne l'ignorent pas tout-à-fait (l'enfant qui entre à l'école en sait déjà long sur le monde social que l'école sert à reproduire). Cette connaissance vague ou par ouï-dire, pour parler comme Spinoza, explique que les structures leur paraissent à la fois familières et étrangères, et, selon qu'elles servent ou non leurs intérêts immédiats, ils seront plus ou moins portés à les accepter (les intérioriser) ou les contester. Une dernière remarque : les contraintes sociales ne sont jamais telles qu'elles ne laissent pas ouverts des champs de possibles. C'est dans ce hiatus entre les contraintes et les potentialités que se dessinent les opportunités de changement.

 

La sphère du temps libre et des rapports interindividuels

 

La deuxième sphère est celle du « temps libre » et de la consommation. Elle peut comporter des activités ardues ou pénibles, ou des activités qui visent le meilleur résultat avec la plus grande économie de moyens, mais ces activités sont facultatives, sous la responsabilité des individus. C'est la sphère de la liberté, non pas au sens où l'on fait ce qu'on veut (il faut disposer de moyens de consommation), ni au sens où elle serait exempte de règles sociales, ou indépendante de l'autre sphère (qui la détermine de multiples façons), ni non plus au sens où l'individu y serait un décideur rationnel (c'est plutôt tout le contraire), mais simplement en ceci qu'il dispose davantage de son temps, qu'il cherche à s'y réaliser le plus possible, que les choix de vie lui sont plus ouverts. La deuxième caractéristique de cette sphère est qu'elle est le lieu par excellence des rapports interpersonnels, fondés sur la singularité de chacun et sur les sentiments qu'il porte à autrui (d'amour, de haine, de tendresse, d'envie, de jalousie etc.). La troisième caractéristique de cette sphère est qu'elle obéit à la temporalité de la vie individuelle, de la naissance à la mort, avec ses moments forts, ses crises, ses drames. On pourrait dire que cette sphère est celle de la rationalité par les valeurs plutôt que celle de la rationalité téléologique, pou reprendre l'opposition webérienne, si elle n'était pas d'abord, comme on le verra dans un instant, celle de l'irrationalité.

Or c'est elle que Marx en en vue lorsqu'il parle d'un « royaume de la liberté » qui commence là où cesse la contrainte du travail, et d'une promotion de l'individualité par delà les rapports de travail, aussi émancipés soient-ils des rapports de classe. Et, dans un passage de l'Introduction de 1857, il écrit explicitement : « L'acte final de la consommation, qui est conçu non seulement comme aboutissement, mais comme but final, se situe en dehors de l'économie » (10). La consommation en effet n'est pas un moment de la production, n'est pas un procès de reproduction, car, si elle sert bien à reproduire la force de travail, elle sert également à « produire » l'individu tout entier.

Cette distinction entre les deux sphères, dira-t-on, est un fait moderne (l'opposition travail/loisir), ou du moins propre à certaines sociétés (ainsi chez les anciens l'opposition du negotium et de l'otium). C'est qu'on ne l'a pas comprise. Dans toutes les sociétés, il y a un temps hors travail - que parfois les maîtres essaient de réduire au minimum, comme dans l'esclavagisme (mais pensons seulement à la condition ouvrière au milieu du 19° siècle) - distinct du temps de travail. A condition de prendre le travail dans toute son extension, et d'y inclure notamment le travail domestique. Si, dans les sociétés traditionnelles, le temps libre est difficile à voir, c'est qu'il s'entremêle aux activités de travail dans des modes de production qui sont avant tout familiaux. Même dans nos sociétés une grande partie du « loisir » est en fait du travail lié, contraint (cuisine, ménage, courses, soins aux enfants, éducation etc.). Autrement dit la distinction ne recouvre pas du tout une opposition sphère publique/sphère privée, et elle traverse en particulier la famille. Notons à cet égard que la distinction reproduction biologique/reproduction sociale est tout aussi fallacieuse. Faire des enfants, dans les sociétés traditionnelles, est une activité économique. On sait l'importance dans les sociétés primitives sédentarisées de la possession de forces de travail. Le contrôle de la circulation des femmes (et, dans une moindre mesure, des hommes) est même le procès essentiel de la reproduction sociale. Dans les sociétés paysannes plus avancées une famille nombreuse est une nécessité économique : les enfants apporteront des revenus, les aînés aideront les cadets, les descendants assureront les vieux jours des ascendants (c'était vrai aussi, il n'y pas si longtemps, dans les familles ouvrières les plus pauvres). Il faut attendre nos sociétés contemporaines pour que la reproduction biologique joue un moindre rôle, parce que la parenté devient un mécanisme reproductif de second ordre. Mais tout cela n'empêche que la famille soit aussi le lieu de relations interpersonnelles intenses, de puissants liens affectifs, et qu'elle comporte ses espaces de « temps libre », extérieurs à la reproduction sociale.

Pour préciser encore les choses, la distinction que nous venons de faire, et qui est à peu près absente de la littérature sociale, ne recoupe pas du tout celle que fait Giddens entre d'une part le champ « contextuel » des interactions dans des espaces spatio-temporels marqués physiquement et symboliquement (par exemple une maison), où les acteurs sont en situation de co-présence et de communication directe, et contrôlent le cours de l'interaction, et d'autre part celui des relations systémiques beaucoup plus distantes, où les acteurs ne se voient pas et communiquent, s'ils le font, indirectement. Tout ce que l'on peut dire ici, c'est que les rapports interindividuels, dans la sphère du temps libre, ont pour finalité une interaction au moins potentielle. Par exemple appartenir à un club sportif (amateur) ne signifie pas qu'on en connaît tous les membres (alors que c'est le cas dans un atelier ou un bureau), mais qu'on pourrait le faire, sur la base de rapports personnalisés. Notre distinction a en revanche quelques rapports avec la distinction habermassienne entre « monde vécu » et « systèmes économique et bureaucratique ». Mais elle en diffère sur de nombreux points. Le champ de la démocratie et de la culture politique appartiennent pour nous (en grande partie) à la sphère du travail, dans sa dimension politique. Cette sphère est l'instance principale, la sphère du temps libre étant seulement l'instance déterminante en dernière instance. La communication n'est pas plus aisée dans cette dernière sphère, sous prétexte que les rapports y sont interindividuels. Bien au contraire, c'est dans la sphère du travail qu'elle se fait le mieux (ou le moins mal), même si les rapports sont souvent plus distants, parce qu'elle y rencontre des contraintes « objectives », parce que la rationalité téléologique y joue un grand rôle. C'est elle encore qui est le haut lieu du symbolique, ou de la production idéologique, et non la sphère du temps libre, qui ne fait que lui fournir une matière première.

Cette sphère du temps libre ne se prête nullement à une analyse en termes économiques. Le grand tort de l'approche néo-classique, ou de ses rectifications institutionnalistes, est de la concevoir sur le modèle de la production, avec un consommateur qui effectue des choix rationnels en maximisant sa fonction d'utilité. De tels comportements existent, mais ils concernent des activités qui sont en fait des activités de production, au sein de l'espace privé. Par exemple la ménagère fait bien un calcul coût/bénéfice lorsqu'elle compare le prix du produit dans l'épicerie du coin avec le prix du même produit dans une grande surface compte tenu du temps de déplacement. De même, quand elle fait son marché, elle ne cherchera pas forcément le produit le moins cher, car cela supposerait un long travail d'investigation et de comparaison. Quant au choix des produits eux-mêmes, il reposerait sur des « préférences », qui sont l'alpha et l'oméga de la théorie. Mais ces préférences sont toujours conçues sur le modèle du besoin vital : satiété progressive, goût pour les mélanges. C'est là-dessus que repose la construction des courbes d'indifférence.

Or cette théorie fait bon marché de l'inscription des besoins dans ce que les psychanalystes ont appelé le désir et la jouissance. Je ne pourrai donner ici que des indications très brèves. Le désir n'est pas seulement la recherche d'un plaisir associé à la satisfaction. Il est lié, chez l'être humain (dont la formation se différencie des espèces animales par deux traits fondamentaux, la prématuration du nourrisson et la longueur relative de l'enfance), à des fantasmes originaires refoulés qui tendent à se réaliser à travers toutes les occasions que lui offriront les perceptions, le rêve et les actions elles-mêmes. Insatiable et inextinguible, le désir se subordonne les besoins. Quant à la jouissance (et son double, la souffrance), elle n'est pas seulement un plaisir (ou une douleur) particulièrement intense, mais une expérience liée à l'excès, au désordre et à l'angoisse. Marquée par des sensations qui l'ont accompagnée, elle s'organise autour d'objets fantasmatiques, eux aussi refoulés, qui nous permettent de la revivre tout en nous préservant du désordre. Or c'est le désir qui est à la source de nos passions ordinaires, et la jouissance de nos passions les plus absolues. Et la passion n'a rien à voir avec les « préférences » bien ordonnées de la psychologie économiste : perpétuellement insatisfaite, obéissant à une loi du tout ou rien, exclusive. Impossible ici d'établir des courbes d'indifférence, de faire des calculs d'utilité, de poser une préférence pour les mélanges. Les « besoins » ne sont que la menue monnaie de ce qu'on pourrait appeler nos aspirations fondamentales. Il faut ajouter que la psychologie économiste est aussi désarmée devant nombre de comportements paradoxaux, tels que l'altruisme, le masochisme, l'agressivité, l'ascétisme, qui ne prennent leur sens que comme destins de pulsions.

L'acteur ici n'est pas rationnel, parce qu'il ne peut pas l'être. Non seulement il ne connaît pas la source de ses mobiles, mais encore il ne sait pas et ne peut dire, exactement, ce qu'il désire, quoiqu'il puisse fournir toutes sortes de bonnes raisons, de « rationalisations », qui n'en épuisent jamais le sens. Il faut, on le sait, des expériences singulières, ou, à défaut, l'anamnèse de la cure, pour percer quelque peu le mystère. Rien ici n'est rationnel, parce que l'inconscient ignore la logique, la non-contradiction, comme toutes les formes de la logique modale. Soit à expliquer le comportement d'un criminel. Un économiste comme Becker y voit un calcul savant par lequel l'individu, avant de se décider, compare les bénéfices attendus de son crime avec le risque et le poids de la peine qu'il encourt. Il est en effet tout à fait possible qu'il se dise que en l'occurrence le jeu n'en vaille pas la chandelle. Mais ce n'est pas pour autant qu'il va renoncer à son désir, et, si celui-ci est suffisamment violent, rien ne sera susceptible de le dissuader.

On comprend désormais pourquoi la sphère du temps libre est bien plus propice que celle du travail à la manifestation des passions. Les contraintes objectives y étant beaucoup moins fortes, le champ est beaucoup plus ouvert au fantasme, ou, pour parler comme Freud, au principe de plaisir. Il suffit de noter par exemple que la rêverie ou la conversation à bâtons rompus, ces occupations qui sont en principe bannies de la sphère du travail, laissent aux émotions et aux associations d'idées une latitude bien plus grande que toute activité laborieuse.

La psychologie économiste manque tout autant la signification profonde des rapports interindividuels, car elle les conçoit aussi sur le modèle de la production et de l'échange - et ceci est vrai aussi bien des théories de l'acteur rationnel que de celles fondées sur la raison pratique. Nos rapports avec autrui sont pensés sur le mode de l'instrumentation, comme dans le modèle du pur marché, où les sujets ne communiquent que par les produits et les prix, ou sur le mode de la rivalité, comme dans l'univers compétitif, ou sur le mode de la dissimulation et de la tromperie, comme dans les théories de l'agence où chaque agent se trouve en butte à l' « opportunisme » des autres. Bien entendu de tels comportements existent, mais ils ne sont pas les plus fondamentaux et ce ne sont pas eux qui prévalent dans la sphère du temps libre et de la consommation.

On pose que les sujets sont déjà constitués, avec leurs préférences et leurs croyances, et qu'ils entrent ensuite en relation. Mais l'intersubjectivité n'est possible que si la socialité est inscrite profondément en nous. C'est la psychanalyse qui nous a montré comment se faisait cette inscription. Après le processus tout à fait passif de « l'incorporation » chez le nourrisson, le mécanisme clé est celui de l'identification, qui est bien différent de celui de l'imitation volontaire : l'enfant reproduit en lui des attitudes, des gestes, des postures, des façons de parler de ceux qui l'entourent, et ce processus, qui est constitutif de sa personnalité, se répétera ensuite chez le sujet plus âgé sous les formes les plus diverses d'introjection. Comme il est lié au désir et à la jouissance, il se passe au niveau inconscient. Enfin de nombreux faits de clinique ou d'observation sociologique montrent la présence chez l'être humain d'un puissant désir d'identification au groupe, au « corps collectif », qui a ses racines propres mais renvoie toujours à la chaude intimité des rapports familiaux. C'est sur cette base que se nouent les rapports intersubjectifs. Je ne peux entrer ici dans une analyse détaillée. Je dirai simplement que, pour nous faire comprendre d'autrui et le mettre au service de nos désirs, nous sommes contraints de nous décentrer, de nous mettre à sa place, ce qui repose sur les identifications réussies. Et la conclusion est que les relations intersubjectives supposent un fond d'empathie et de reconnaissance de l'altérité de l'autre. C'est ce fond qui rend possible, selon les vicissitudes de l'histoire personnelle du sujet, aussi bien les comportements véritablement altruistes (la bonté naturelle, la charité spontanée) que la méchanceté ou la cruauté (quand les identifications se sont faites avec la « mauvaise mère », le « père castrateur » ou avec l'« agresseur »). Sans doute faut-il rajouter encore une dimension fondamentale de l'intersubjectivité, absente de la psychanalyse freudienne, mais présente chez Nietzsche et surtout Adler. Notre capacité à nous identifier à autrui fait que nous désirons ce qu'il désire, que nous éprouvons de l'envie (ce problème qui fait le rouet des théoriciens libéraux), laquelle n'est qu'un autre nom d'une pulsion d'égalité. Or cette rivalité fondamentale - bien différente d'une rivalité pour les biens dans un monde de rareté - tourne aisément au désir de domination dès que nous nous sentons infériorisés. Telle serait la source subjective du désir de prestige et de puissance. A l'adresse des économistes signalons que les points principaux de cette analyse n'ont pas attendu la psychanalyse pour se trouver mis en lumière, mais se trouvent déjà chez ... Adam Smith. Sa théorie de la sympathie fait appel à l'identification et à l'imitation. Quant à l'amour de soi, il coïncide avec la recherche de l'amour des autres. S'il prend la forme de l'intérêt égoïste, c'est encore pour nous attirer, par la possession de biens, la sympathie des autres. Mais, porté par l'envie, il entraîne aussi l'envie de ceux qui en sont dépourvus. Dès lors, loin de s'opposer aux passions, les intérêts en sont, comme l'explique très justement J. P. Dupuy (11), une synthèse ou un concentré.

La psychologie économiste a par ailleurs une conception de la volonté et de la liberté qui paraît s'appliquer assez bien dans la sphère du travail. Elle s'appuie sur le modèle de l'action instrumentale, où le sujet énonce ses raisons, hiérarchise ses fins, et choisit, après délibération, les moyens les plus adaptés, et plus particulièrement sur le modèle de l'entrepreneur rationnel, pour qui l'entreprise est une sorte de machinerie au service d'une fin suprême parfaitement connue, la maximisation du taux de profit. En réalité, même en ce domaine, cette théorie de la volonté, qui ressuscite le vieux couple de l'âme et du corps machine, est largement factice et illusoire.

Nous ne sommes pas avec notre corps dans un rapport de sujet à objet. Quant à la volonté, pour la comprendre autrement que comme une faculté mythique, il faudrait retracer sa genèse, montrer comment l'enfant se met à distance de lui-même par le langage et creuse cette distance en répondant à autrui, ce qui suppose qu'il se mette à sa place. Le sentiment de la volonté pure vient de ce que se constitue en nous, à travers l'expérience du miroir et l'intériorisation du point de vue de l'autre, un double, sous la forme d'un je distinct du moi, qui bientôt pourra s'opposer à la volonté de l'autre. Toute notre vie est ainsi dialogue entre ce je qui est moi et un soi qui est désirant, pensant et agissant, dialogue dont aucune machine ni même aucun animal ne sont capables. C'est ainsi que nous pouvons prendre des décisions réfléchies et « rationnelles ». Mais la liberté est une autre paire de manches. Même si l'on oublie l'absurde théorie du libre-arbitre, il reste que nos décisions personnelles, celles qui nous engagent vraiment, se font non selon un classement d'utilité entre des intérêts que nous serions à même de reconnaître et d'expliciter, mais en fonction d'une part de passions qui ne nous livrent pas leur sens et qui sont en conflit les unes avec les autres, et d'autre part de jugements de valeur qui nous sont venus d'autrui et que nous avons intériorisés sans en avoir conscience (il faudrait ici retracer toute la genèse du surmoi et de l'idéal du moi selon Freud) avant de les « retravailler » pour notre propre compte. Dès lors, pour reprendre la formule de Sartre mais en pensant surtout à Nietzsche, « quand nous délibérons, les jeux sont faits ».

Dans la sphère du temps libre le vouloir est plus spontané, parce qu'il est moins soumis à des contraintes extérieures et moins encadré par des règles explicites. Ce qui ne veut pas dire qu'il soit plus libre. Le schéma de la décision rationnelle a toutes chances de ne refléter que les mises en scène du sujet.

Un dernier point enfin. Nous nous demandions d'où vient la croyance, non pas la croyance « rationnelle », celle qui cherche à interpréter le monde quand on ne peut l'expliquer, mais la croyance qui s'impose contre le réel, qui fait fi des démentis de l'expérience. Elle vient naturellement de l'activité fantasmatique du sujet, consistant alors, comme on le dit si bien, à prendre ses désirs pour la réalité. Elle trouve donc son terrain privilégié dans la sphère du temps libre. Mais la sphère du travail n'est pas immunisée contre cette forme de croyance. J'y reviendrai dans un instant.

 

La dialectique des deux sphères

 

Il faut partir de la séparation des deux sphères pour penser ensuite leurs interactions. Or elles sont innombrables, et je ne pourrai en donner qu'un très bref aperçu dans le cadre de cet article, essentiellement en réponse aux questions non résolues que je soulevais précédemment.

C'est évidemment le même homme qui vit dans les deux sphères, et les phénomènes de schizoïdie sont plutôt pathologiques. On ne change pas de peau, et à peine de veste, en se mettant au travail ou en retournant à la maison.

La sphère du temps libre et ses rapports interindividuels infiltre de toutes parts la sphère du travail, où les rapports ne sont du reste jamais tout à fait impersonnels. L'individu y transporte ses fantasmes et ses passions, ses sympathies et ses antipathies, sa confiance en lui ou ses angoisses, la force ou la faiblesse de son vouloir, ses croyances. Je considérerai seulement quatre phénomènes : l'autoritarisme patronal, la soumission à l'autorité et la résistance, les croyances irrationnelles..

Toutes les analyses institutionnalistes de la hiérarchie en termes non plus fonctionnels mais de choix rationnels et de contrats (incomplets), outre qu'elles font l'impasse sur la structure de propriété, ignorent ce que Bourdieu appelle le « travail de domination », qui lui-même à été appris dans des procès de formation spécifiques. Mais il faut sortir de la rationalité des intérêts, même plus ou moins conscients, pour comprendre l'autoritarisme, qui prend des formes très diverses selon le style de management et selon les individus. Impossible de le comprendre sans faire appel, chez l'entrepreneur le plus rationnel, à des processus psychiques tels que l'introjection de l'image paternelle, le fantasme de toute-puissance, l'identification à l'agresseur. Impossible de le comprendre non plus sans évoquer la transformation de l'envie en désir de domination, que la société concurrentielle ne saurait créer de toutes pièces.

La soumission à l'autorité trouve aussi ses racines dans le respect des interdits parentaux et la crainte, plus ou moins inconsciente, de la figure paternelle. Les psychanalystes ont expliqué longuement, et avec des outils théoriques qui n'ont rien à voir avec ceux de la décision rationnelle, les processus psychiques qui étaient au fondement du « désir de servitude » ou de « l'amour du maître ». Je pense par exemple qu'on ne peut comprendre la passivité ouvrière, en certaines circonstances, sans la référer à un sentiment de culpabilité.

Inversement les résistances, et par conséquent les luttes des classes dominées, ont manifestement souvent un caractère passionnel. Les révoltes les plus fortes ne sont pas construites par calcul, elles sont véritablement des explosions de haine. Et cela dépend de l'histoire personnelle des individus : il y a des rebelles, il y a des coléreux, il y a des rancuniers. D'une certaine façon ce sont là des évidences du sens commun, mais elles sont bonnes à rappeler aux théoriciens des sciences sociales.

Quant au phénomène de la croyance, on ne peut qu'être frappé par sa présence massive dans la sphère du travail, et encore aujourd'hui dans l'univers prétendument désenchanté de la modernité capitaliste. Ce ne sont pas seulement les petites gens qui consultent leur horoscope ou leur voyante, ce sont aussi les entrepreneurs les plus rationnels. On ne compte pas non plus les cercles, les églises, les lieux de spiritualité où les élites du monde des affaires viennent sauver leur âme. Plus banalement les comportements magiques (combien de livres de management sur l’ « intuition ») s'entremêlent constamment aux calculs spéculatifs. Seuls des cognitivistes impénitents peuvent s'en étonner. Il faut rappeler que les croyances sont une expression de nos fantasmes et que la rationalité est toujours une laborieuse conquête, même la science n'allant pas sans des actes de foi.

Revenons enfin à cette autre question que nous posions à la théorie sociale. Pourquoi le changement est-il si lent et parfois si brutal? On pourra invoquer les révolutions technologiques et l'accumulation de petites transformations qui font une mutation sociale. Et il serait tout à fait intéressant de montrer que personne, ni une sorte de malin génie (une ruse de l'histoire), ni une fonctionnalité des institutions ne détermine le changement, qui en passe toujours par des tâtonnements et des « trouvailles » historiques. Mais encore faut-il que des sujets fassent preuve d'invention. C'est ici qu'il faut réhabiliter le fantasme et la passion, qui bousculent les règles et la logique de l'action. La rationalité serait un carcan, corsetant l'activité dans d'étroites limites, sans la puissance d'évocation qui est celle du désir dans ses diverses manifestations. Enfin les grands mouvements historiques ont toujours un caractère passionnel. Il ne sert à rien de le déplorer, il vaut mieux essayer de le prévoir. En définitive c'est toujours quelque part du côté de la sphère du temps libre, du mode de vie et des moeurs, que se produisent les grandes impulsions qui vont agir sur la lente transformation des structures de la vie de travail.

Je parlerai fort peu des effets de la sphère du travail sur celle du temps libre. C'est là le terrain de choix des analyses sociologiques, particulièrement d'inspiration marxiste. Je me contenterai de faire une allusion aux effets de ce travail particulier qui est celui de l'économiste de l'école du choix rationnel. Il ne faudrait pas croire que l'impérialisme actuel de la science économique ne concerne que des cercles d'universitaires orthodoxes ou conformistes. Ces théories jouent un rôle normatif diffus : l'accent mis sur le marché, sur les calculs coûts/avantages, l'analyse des rapports conjugaux, amoureux et familiaux en termes de contrats, le démontage des intérêts en jeu dans le champ politique (théorie du marché politique, des groupes de pression, des castes), l'application d'un calcul de type marchand au don, à la loyauté, à l'équité ou à l'obéissance, tout cela finit par définir des modèles de conduite qui apportent de l'eau au moulin de la nouvelle civilisation capitaliste.

Pour conclure, et pour revenir à Marx, il me paraît clair qu'il n'a pas vu la portée et les enjeux d'une distinction dont il a pourtant eu l'idée. Nous n'allons pas lui reprocher de n'avoir pas lu Freud, Nietzsche, Adler et quelques uns de nos contemporains. Mais il aurait pu trouver chez quelques uns de ses devanciers, chez un Rousseau ou un Smith par exemple, de quoi penser une dialectique qui lui a largement échappé. C'est peut-être en ce sens qu'on peut le dire héritier des Lumières et de la grande tradition rationaliste classique, de Descartes à Hegel.

 

 (1)Réponses, Ed. du Seuil, 1992, p. 78.

(2)La noblesse d'Etat, Ed. de Minuit, 1989, p. 12.

(3)Le freudo-marxisme, qui s'était engagé dans une voie prometteuse et qui a produit des analyses éclairantes (je pense en particulier à celles d'Erich Fromm), a manqué l'articulation vie sociale/vie individuelle, en la cherchant par exemple du côté d'une dualité des pulsions (l'économique serait voué à la satisfaction des pulsions d'auto-conservation, et la vie privée à celle de la libido). En revanche l'oeuvre de Gérard Mendel s'ancre sur une distinction très proche de celle que je présente ici. Je ne l'ai rencontrée qu'après avoir écrit De la société à l'histoire (Méridiens Klincksieck, 2 t., 1989), mais depuis je lui dois beaucoup.

(5)Cf Gérard Mendel, La chasse structurale, Une interprétation du devenir humain, Payot, 1977.

(6) « La théorie du choix rationnel est-elle une théorie psychologique? », in Analyse économique des conventions, dir. André Orléan, PUF, 1994.

(7)Sur cette distinction, cf De la société à l'histoire, t. 1., p. 549 sq.

(8)Ces concepts sont longuement exposés, et défendus quant à leur généralité, dans le tome 1 de l'ouvrage précité.

(9)Pour une analyse de ces sociétés, cf ibidem, t. 2, p. 39-49, p. 485-487.

(10)Fondements de la critique de l'économie politique, Ed. Anthropos, p. 17-18.

(11)Cf J. P. Dupuy, « L'individu libéral, cet inconnu : D'Adam Smith à Friedrich Hayek », in Individu et justice sociale, Autour de John Rawls, Ed. du Seuil, 1988, p. 86 sq.

 

(Article publié dans Marx après le marxisme, tome 1 Marx à la question (dir. Michel Vakaloulis et Jean-Marie Vincent) L’Harmattan, 1997). On retrouve la trame de cet article dans mon livre Un être de raison, Critique de l’homo oeconomicus, Syllepse, 2000).

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