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Le blog de Tony Andreani
13 février 2011

Regards de gauche sur la crise

Groupons-nous et demain ! La crise internationale et ses alternatives  de gauche

 

Editions Le temps des cerises, 2010, 291p.

 

 

Ce n’est pas parce que j’ai contribué à cet ouvrage collectif que je le signale à l’intention des lecteurs. C’est parce qu’il offre une pluralité de regards internationaux (27 exactement), et ceci à travers un large éventail de positions. Il est issu d’un colloque tenu à Sao Paulo en 2009, et s’est enrichi de plusieurs autres contributions. Les auteurs sont souvent des universitaires de renom ou des figures politiques importantes de la gauche socialiste ou communiste.

On y trouvera d’abord des analyses de la crise qui tranchent de plusieurs façons avec la multitude d’écrits qui ont été produits sur la question - au reste souvent intéressants (je pense par exemple au recueil d’articles publié par le Cercle des économistes, Fin de monde ou sortie de crise ?). Plusieurs auteurs se sont attachés à l’inscrire dans l’histoire longue du capitalisme. Par exemple Samir Amin la présente comme la troisième grande crise de son histoire, après celle de la fin du 19° siècle et la Grande Dépression de 1929, et y voit la manifestation d’un « capitalisme sénile », stade de l’impérialisme dominé par des oligopoles mondialisés. Ou encore François Morin rappelle comment elle fait suite à trois phases de libéralisation des marchés depuis 1971. Ensuite les analyses convergent dans le diagnostic - au-delà de traits fréquemment relevés, tels que l’envolée des taux de profit et la faiblesse des taux d’investissement, l’emballement du crédit et l’hypertrophie de la sphère financière. On a affaire à des phénomènes, de très grande ampleur, de suraccumulation et de sous-consommation, qui ne peuvent se résoudre par une destruction de valeur qui purgerait le système de ses excès. La crise est systémique, pas seulement parce que des maillons faibles, en lâchant, ont entraîné des répercussions en chaîne, mais encore parce c’est le système lui-même qui est vicié. Le néo-libéralisme est allé trop loin pour poursuivre sa marche en avant. Tous les auteurs m’ont paru d’accord pour estimer que toutes les mesures de « régulation » ne sont pas et ne seront pas, vu le poids exercé par l’oligarchie financière, assez radicales pour éviter une rechute.

Un second intérêt de cet ouvrage, dans ses articles plus monographiques, est de fournir des informations sur l’état des lieux dans un grand nombre de pays : Etats-Unis, Grande Bretagne, autres pays de l’UE, Russie, Pologne, Inde, Vietnam, Afrique du Sud, Amérique latine, particulièrement Brésil, Cuba et Venezuela. Ces aperçus sont rapides, mais suggestifs. Ce sont les articles sur la Chine qui sont le plus fouillés.

Le troisième intérêt de cet ouvrage est, évidemment, d’une part de lister des propositions véritablement alternatives, d’autre part d’examiner quelles opportunités la crise pourrait ouvrir pour un basculement à gauche, que la plupart des auteurs inscrivent nettement (à la différence, notons-le, du parti communiste français) dans la perspective d’un socialisme du 21° siècle. Les propositions alternatives sont nombreuses : on en trouve par exemple sous la plume de Paul Boccara ou de William Tabb. Il s’agit, pourrait-on dire, de ramener le capitalisme à la raison et vers des compromis sociaux (changer les critères de gestion, imposer les multinationales, fermer les paradis fiscaux, rétablir une forte progressivité de l’impôt etc.). Une mesure clé fait consensus : nationaliser (en partie ou en totalité) les banques. Je pense qu’il y là matière à dessiner un programme pour empêcher une réédition encore plus grave de la crise, mais la difficulté vient des contextes nationaux : les marges de manœuvre sont très faibles au cœur de la puissance hégémonique, de cette place financière mondiale (et ce paradis fiscal) que représente la Grande Bretagne, et encore plus faibles dans les autres pays d’une Union européenne, corsetée par son ultra-libéral Traité de Lisbonne. Plusieurs articles donnent la mesure de ces difficultés.

Ce qui m’a le plus concerné, c’est la question d’un retour possible du socialisme. Le recueil témoigne ici d’une grande incertitude. Valter Pomar, par exemple, pense que nous ne sommes pas sortis des stratégies défensives, que des modèles de substitution n’ont pas clairement émergé, qu’il y a un contraste frappant entre l’ampleur de la crise et la timidité des propositions. Roberto Amaral est encore plus pessimiste. Les auteurs latino-américains, que l’on attendait sur le sujet, soulignent que les conquêtes de la gauche sont limitées et fragiles, que les difficultés sont devant elles. Samir Amin estime que le recul de l’hégémonie états-unienne et de la rente impérialiste ne signifie pas que les oligopoles mondiaux et les oligarchies qui les soutiennent ont perdu de leur pouvoir. Il mise sur la révolte des peuples du Sud et appelle de ses vœux une nouvelle internationale. C’est peut-être sur le rôle de la Chine que les avis sont le plus divergents, du moins tels que je peux les lire en filigrane. Fait-elle simplement partie de l’internationale du Capital, ou bien peut-elle être un point d’appui pour le grand basculement ? Je me rangerais volontiers à l’avis de Valter Pomar : la Chine était contrainte de développer dans une certaine mesure le capitalisme si elle voulait pouvoir le dépasser. Elle n’est, effectivement, qu’à un « stade primaire » (ou seulement préparatoire) du socialisme. Reste que la façon dont elle a, grâce à ses institutions qui sont fort étrangères au néo-libéralisme, échappé à la crise est impressionnante (lire à ce propos les articles de Ma Jingpeng, de Wang Dong, de Wladimir Pomar) et que sa politique étrangère est bien différente de celle de l’impérialisme (lire l’article de Gourmo Abdoul Lo sur ses relations avec l’Afrique). En tous cas, voilà un énorme chantier, dont le réseau intellectuel organisé par Correspondances internationales, devrait résolument se saisir lors de ses prochaines initiatives.

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