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Le blog de Tony Andreani
5 février 2011

Démocratiser l'économie

Démocratiser l’économie. Le marché à l’épreuve des citoyens

 

Hughes Sibille et Tarek Guezali*

Grasset 2010

 

 

Démocratiser l’économie : un titre bien ambitieux pour un plaidoyer finalement modeste, là où on attendait un grand projet transformateur.

La démocratisation des entreprises capitalistes est à peine abordée, en évoquant la présence de représentants des salariés dans les conseils d’administration (mais cela se pratique déjà dans d’autres pays, sans beaucoup changer la donne), et l’activisme de petits actionnaires, qui pourraient, en se coalisant, imposer le respect de certaines normes (l’expérience montre qu’ils sont surtout soucieux de leurs dividendes). Les entreprises publiques sont ignorées. Restent donc trois champs pour la démocratie économique : les sociétés de personnes, l’entrepreneuriat social et la responsabilité sociale des entreprises. Que nous en disent les auteurs ?

 

L’économie sociale : peu de propositions

 

Le sujet des coopératives de production (Scop) est peu développé. Il serait quand même intéressant de savoir pourquoi elles ne progressent pas, ou si peu. On aurait aimé que soit abordé le thème des réseaux de coopératives, lesquels sont une voie essentielle pour leur permettre de dépasser leurs limites. Rien non plus sur l’expérience de Mondragon.

S’agissant des autres coopératives, des mutuelles et des associations, les auteurs reconnaissent que la démocratie y est largement formelle (pour des raisons en fait bien compréhensibles, dont le grand nombre des clients) et regrettent que les salariés n’y aient pas le droit de vote. Ils appellent de leurs vœux des « sociétés de partenaires », où « le pouvoir pourrait être réparti entre salariés, usagers, apporteurs de fonds, fournisseurs, communauté », dans la lignée des SCIC. Mais cela pose quantité de problèmes de représentation et de risques de conflits de pouvoirs, qui ne sont pas abordés (le bilan des SCIC n’est d’ailleurs pas très encourageant). En ce qui concerne les banques coopératives, qui justement fonctionnent en réseau (les caisses régionales), ils ne nous disent pas quelles modifications de structure il faudrait adopter. Ils n’évoquent pas davantage la possibilité de banques coopératives organisées en Scop.

 

L’entreprenariat social (ou économie solidaire) : quoi de novateur ?

 

Le passage en revue des diverses formes de l’économie solidaire est la partie la plus nourrie de l’ouvrage. Elle est fort intéressante, mais surtout factuelle.

Toutes les tentatives pour réinsérer les exclus du monde du travail, et souvent pour les orienter vers des formes d’économie alternative (commerce équitable, produits bio etc.) sont évidemment bien intentionnées, et donnent des résultats appréciables – encore que le micro-crédit à grande échelle ait été souvent détourné, comme on peut le contester en Inde. Il reste que tout ce massif d’initiatives ne dépasse pas le domaine des palliatifs : création d’autoentreprises ou de microentreprises pour sortir quelques dizaines de milliers de personnes du chômage. Pourtant, et les auteurs ne le soulignent pas assez, le financement solidaire est porteur d’innovations qui pourraient être de grande portée : accompagnement et suivi des projets, mutualisation des risques, relations étroites entre la banque et les clients. On pense par exemple aux Cigales ou à la Nouvelle Economie fraternelle, qui ne sont pas citées.

 

Peut-on se fier à la RSE (responsabilité sociale des entreprises) ?

 

Les auteurs semblent lui faire un certain crédit. Reconnaissant qu’elle est mise en œuvre essentiellement comme facteur de compétitivité (amélioration de l’image de marque, meilleur ancrage territorial etc.), ils pensent qu’elle pourrait aller plus loin si d’autres acteurs que les actionnaires y étaient associés (des ONG par exemple). En réalité on ne voit pas que l’entreprise capitaliste puisse se soucier d’autre chose que de sa rentabilité si elle n’y est pas contrainte. Et cela suppose des interventions des pouvoirs publics, qui exigeraient d’elles un bilan social et environnemental dont ils définiraient les critères et dont ils contrôleraient le reporting sans complaisance. Ce sont aussi eux qui les inciteraient à respecter les normes par divers moyens, comme leur prise en compte dans les appels d’offres pour les marchés publics ou l’utilisation de taxations différentielles.

 

Au bout du compte, on voit que les auteurs de ce livre, qui commencent par énoncer des principes forts (associer les citoyens aux décisions politiques les concernant, rendre les individus acteurs de l’économie, demander des comptes à ceux qui exercent des responsabilités sociales), s’inscrivent dans une tradition qui se méfie de l’Etat et compte sur la société civile pour rendre un peu de pouvoir à ceux qui en sont privés, et qui ne remet pas en cause la prédominance écrasante du secteur capitaliste, en restant dans l’optique d’un tiers secteur. D’ailleurs ils ne s’en cachent pas. Ainsi, à propos des sociétés de personnes, ils refusent d’y voir « la grande alternative au capitalisme que fantasment parfois certains promoteurs de l’économie sociale » (p. 51). La démocratie économique, décidément, n’y trouvera pas son compte. D’autant plus qu’un autre aspect fondamental de la démocratie économique, à savoir le poids que les citoyens, en tant que tels, devraient exercer sur les choix collectifs et sur les politiques publiques, est laissé dans l’ombre.

 

*Hughes Grasset est vice-président du Crédit coopératif, Tarik Guezali est délégué général du Mouvement des entrepreneurs sociaux

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  • Comment réenchanter la politique ? En lui fixant un nouveau cap, qui serait la construction d’un socialisme du XXI° siècle. Un socialisme dont l’axe central serait la démocratie économique (au sens large).
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